L’apostrophe de Jean-Christophe Buisson/Ecrans
CHERS AMATEURS DE FAITS DIVERS,
l’interminable et insoluble (même dans la Vologne) affaire Grégory ou, en ce moment, l’affaire Maëlys vous ont persuadés que « la réalité dépasse parfois la fiction » dans le domaine sordide des disparitions d’enfants. Allez donc voir le nouveau chef-d’oeuvre d’Andreï Zviaguintsev et vous en reviendrez. Faute d’amour (en salles le 20 septembre) est à la fois une leçon de cinéma et de vie. Une prodigieuse mise en scène et en espace de personnages fictifs et une photographie en mouvement d’un drame familial dont chaque élément constitutif sonne avec une vérité et une justesse époustouflantes. Troublantes. Edifiantes. Dérangeantes.
L’histoire se déroule à Moscou de nos jours. Un homme, une femme. Ils se sont vaguement aimés, ils ne s’aiment plus. Ils vont divorcer et ont chacun de son côté déjà commencé une nouvelle vie sentimentale. Bien décidés à effacer toute trace de leur histoire commune. Même quand cette trace a 12 ans, de jolis cheveux blonds, des yeux bleus tristes et un cartable sur le dos. Lancés dans leurs rêves égoïstes et individualistes, ayant évacué de leur mémoire toute notion de transmission, d’héritage, de responsabilité, de parentalité, ils ne voient plus leur enfant que comme un poids. Un poids mort. Invisible. Justement, Aliocha disparaît un jour brusquement. Fugue ? Enlèvement ? Accident ? Les autorités ne mettent guère d’énergie à enquêter. Une battue est organisée dans les environs avec les voisins, les amis, la famille. Mais n’est-ce pas trop tard pour se soucier de lui ?
Avec une froide et clinique méticulosité qui n’obère pas une extraordinaire puissance émotionnelle (la musique d’Evgueni Galperine n’y est pas pour rien), Zviaguintsev réalise un conte moral aux allures de pamphlet : contre une société contemporaine obsédée par le progrès technologique, la jouissance immédiate, l’hédonisme absolu, la richesse matérielle ; contre un Etat bureaucratique, administratif, sans coeur, indifférent aux souffrances de ses concitoyens. Comme dans Léviathan ou Le Retour, le plus grand réalisateur russe de sa génération parle de son pays. Mais aussi du nôtre. Grégory, Aliocha, même combat. Post-apostrophum : ne cherchez plus, la plus belle scène de larmes muettes de l’histoire du cinéma est ici.