La page d’histoire de Jean Sévillia
Le 28 juin 1919, les délégués allemands à la conférence de Versailles signent un traité de paix dont ils n’ont pu négocier les termes. Amputée du huitième de son territoire, partiellement occupée, coupée en deux par le corridor de Dantzig, contrainte de démanteler son armée, astreinte au paiement de réparations dont le montant s’avérera astronomique, l’Allemagne paie le prix fort de l’armistice du 11 novembre 1918, elle qui se voyait alors comme une puissance invaincue. Pour les Allemands de droite comme de gauche, le traité de Versailles restera un diktat dont les gouvernants n’auront de cesse d’effacer les effets. Chez les Alliés, la tonalité sera vite critique à l’égard de cet accord qui n’avait pleinement satisfait ni la GrandeBretagne, où l’économiste Keynes l’attaquera pour sa dureté excessive, ni la France où l’historien Jacques Bainville le qualifiera de « trop dur pour ce qu’il a de doux et trop doux pour ce qu’il a de dur », ni les Etats-Unis où le Sénat, désavouant Wilson, refusera de ratifier le traité et d’adhérer à la Société des nations créée par lui. Jacques-Alain de Sédouy, ancien ambassadeur et historien des relations internationales, s’emploie à réhabiliter le traité de Versailles contre la mauvaise image qui s’attache à lui, incriminant plutôt les hommes politiques pour l’usage qu’ils en ont fait. Son plaidoyer, clair et documenté, convainc seulement sur certains points (1). Car en humiliant l’Allemagne tout en lui laissant les moyens politiques et économiques de son rétablissement, en chargeant une SDN impuissante de l’arbitrage international et en créant de nouveaux problèmes de minorités sur le continent, le traité de Versailles a malheureusement échoué à instaurer une paix durable. Robert Gerwarth, un historien britannique, décrit de son côté, dans un livre saisissant, les guerres nationales ou civiles qui ont causé des millions de victimes, en Europe centrale et orientale, sur les décombres des trois empires disparus en 1917-1918 (2). Dans ce chaudron bouillonnant s’annonce la tragédie européenne de 1939-1945.
(1) Ils ont refait le monde, 19191920. Le traité de Versailles, de Jacques-Alain de Sédouy, Tallandier, 346 p., 23,50 €.
(2) Les Vaincus. Violences et guerres civiles sur les décombres des empires, 1917-1923, de Robert Gerwarth, Seuil, 560 p., 25 €.