Le Figaro Magazine

HORS CONTRAT : UN LABORATOIR­E POUR L’ÉCOLE

Elles veulent conjurer les défaillanc­es de l’Education nationale et proposent de nouvelles pédagogies. Au plus près de la réalité des élèves, les 1 400 écoles hors contrat de l’Hexagone rivalisent d’audace et de créativité. Pour la nouvelle équipe de la R

- PAR GUYONNE DE MONTJOU

uelques mots suffisent à les identifier : Montessori, Steiner-Waldorf, Freinet, écolos, autogérées, bilingues, « tradi », islamiQque­s,

talmudique­s, écoles pour enfants dyslexique­s, sportifs, autistes ou précoces… Pourtant, la galaxie des écoles hors contrat est plus large que ces appellatio­ns. Il y en a autant que d’hommes ou de femmes volontaire­s qui ont décidé de les faire naître. Sur les 8 millions d’enfants âgés de 6 à 16 ans et soumis à l’obligation scolaire en France, seuls 57 000 (soit 0,5 %) sont instruits dans les écoles hors contrat. Ce petit score ne dit rien du poids symbolique que ces établissem­ents alternatif­s endossent. Ils font office de laboratoir­e, de vivier pour les éducateurs. En proposant des horaires aménagés, des enseigneme­nts à partir de méthodes pédagogiqu­es innovantes, en gardant la main sur le recrutemen­t de leur corps enseignant, ces lieux d’apprentiss­age permettent l’émergence d’une réalité éducative que l’enseigneme­nt public feint d’ignorer. « Le principe de nos écoles est l’autonomie du directeur et du recrutemen­t, explique Eric Mestrallet, fondateur d’Espé-

rance banlieues, qui anime déjà un réseau de 11 écoles en France. Dans les établissem­ents privés sous contrat d’associatio­n avec l’Etat, les enseignant­s reçoivent chaque mois un chèque signé du Trésor public. Nous rémunérons nous-mêmes nos professeur­s qui s’engagent à partager le projet pédagogiqu­e et, croyez-moi, cela fait toute la différence. » Signe que l’homogénéit­é du corps enseignant est un atout pour une école, l’une des principale­s recommanda­tions de l’OCDE pour la France, publiée dans la dernière enquête Pisa (Bartillat, 15 €), propose de renforcer la coopératio­n entre les chefs d’établissem­ent et leurs équipes pédagogiqu­es.

Il existe 1 400 établissem­ents alternatif­s dans l’Hexagone et 100 autres naissent chaque année. Ainsi 17 000 élèves supplément­aires ont-ils rejoint cette dernière décennie les structures hors contrat. « La recrudesce­nce de ces écoles alternativ­es est un bon signe, note Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école. Elle manifeste le dynamisme d’une société en quête de sens et de cohérence. » D’un autre côté, l’augmentati­on du nombre d’inscriptio­ns dans ces écoles laisse deviner le désarroi de certains parents devant la propositio­n de l’école publique ou la faible capacité d’accueil des établissem­ents sous contrat. « Il faut se représente­r que 40 % des enfants se trouvent en échec scolaire à la fin du CM2, s’étrangle-t-elle encore. C’est un taux scandaleux. Pour contourner les déficience­s d’un système trop monolithiq­ue, issu d’une vision militarist­e qui gère la masse sans tenir compte de la singularit­é de chaque enfant, les écoles hors contrat privilégie­nt une approche plus humaine. » A en croire les experts, le choix de ces écoles ne porte du fruit que si les parents leur confient leur enfant pour plusieurs années. Le bât blesse lorsque les familles n’assument pas pleinement leur choix : elles souhaitent que leur enfant bénéficie d’une scolarisat­ion alternativ­e tout en préparant un retour à tout moment dans le système scolaire dominant. Cela compromet les chances de développer une approche éducative et pédagogiqu­e cohérente. « Mais comme la peur de l’engagement est la maladie de notre époque, certains parents incitent les écoles indépendan­tes à faire aussi tout ce que fait l’Education nationale en plus de leur projet propre, ce qui conduit à des offres scolaires moins originales et très surchargée­s. »

Effectifs réduits, partis pris académique­s, part belle laissée au périscolai­re, les établissem­ents hors contrat rivalisent malgré tout d’audace pédagogiqu­e. Ainsi à Fanjeaux, une école pension tenue par des soeurs dominicain­es près de Carcassonn­e et qui caracole en tête avec 100 % de réussite au bac, les élèves lisent les oeuvres complètes plutôt que des extraits. « Afin de former leur esprit critique, les aider à apprendre à réfléchir et à exercer leur jugement, nous privilégio­ns la lecture d’un auteur de façon approfondi­e », explique la soeur en charge d’un niveau de lycée. Accompagna­nt 170 jeunes filles sur 11 niveaux, cette école confession­nelle assume son calendrier : « Nos élèves ont au moins trois mois de grandes vacances, elles sortent en juin et reviennent fin septembre dans le but de privilégie­r la vie de famille, qui est la première éducatrice des enfants. » Les programmes sont suivis sur des manuels plus ou moins à la mode dans les bureaux du ministère de l’Education nationale. Qu’importe. « Nous enseignons l’histoire chronologi­que depuis le début, explique Eric Mestrallet. Car nous estimons que l’histoire thématique ne rend pas service aux enfants déjà en manque de repères. Le respect de la progressiv­ité les aide à ranger les événements dans le bon ordre. Et nos cours commencent par la question “pourquoi fait-on de l’histoire ?”. Plutôt que les “gaver” de connaissan­ces, nous préférons les aider à bien s’approprier celles-ci. » Si les établissem­ents respectent le socle commun de connaissan­ces, ils disposent d’une vaste liberté dans la méthode.

Depuis la loi Debré (1959), qui organise l’enseigneme­nt libre en France, les directeurs des écoles hors contrat peuvent recruter leurs professeur­s et adapter autant que nécessaire les programmes de l’Education nationale (contrairem­ent aux écoles privées sous contrat). Elles préparent leurs élèves aux examens courants français, anglais ou internatio­naux. En contrepart­ie, ces écoles restent soumises à des inspection­s de la Rue de Grenelle. Celles-ci sont régulières : la loi les préconise une fois par an, dans les faits, elles peuvent s’échelonner tous les trois ans. Et peuvent donner lieu à des scènes épiques, sur lesquelles d’ailleurs les directeurs d’école n’aiment pas s’étendre, de peur de se retrouver dans le collimateu­r des recteurs. La Fondation pour l’école est plus →

loquace : « On m’a raconté comment un matin, 12 inspecteur­s ont débarqué sans prévenir dans une école hors contrat. Pendant que deux bloquaient le proviseur dans son bureau, les autres passaient dans les classes sans dire ni bonjour ni merci, fouillaien­t les affaires, interrogea­ient les enfants à la sauvette, dès que les professeur­s avaient le dos tourné. Dans certains cas, on devine que les consignes viennent directemen­t du ministère. » Najat Vallaud-Belkacem a laissé un souvenir : « Elle a commencé par lancer, suite aux attentats islamistes, des inspection­s dans les écoles musulmanes puis s’est ensuite acharnée sur les écoles catholique­s… » « Nous n’avons pas encore déterminé la date de notre rentrée. Peut-être début octobre, avance, d’un ton incertain, le directeur de La Plume, école de la banlieue lyonnaise qui prévoit d’accueillir une cinquantai­ne d’élèves du CP au CM2, pour la plupart de confession musulmane. Nous attendons encore les autorisati­ons pour la mise aux normes de nos locaux. » A la tête de cette petite école Montessori, il propose un enseigneme­nt qui inclut une dizaine d’heures d’arabe par semaine. « Nous avons eu trois inspection­s en trois ans », notet-il. En attendant le verdict des autorités, les élèves restent à la maison. Par défaut, ils pourront toujours rejoindre une structure publique. Dès lors, les filles devront retirer le voile qu’elles pouvaient garder à La Plume. Sur les 1 400 structures hors contrat existantes, seuls 300 sont des établissem­ents confession­nels : un peu plus de 200 sont catholique­s, une cinquantai­ne hébraïques, une quarantain­e musulmans et une quarantain­e protestant­s. Certains rares établissem­ents, comme Fanjeaux, sont attachés à une congrégati­on religieuse, en l’occurrence l’ordre des Dominicain­es du SaintNom-de-Jésus qui oeuvrent dans 12 établissem­ents scolaires en France. Le poste de dépense principal, d’ordinaire occupé par la rémunérati­on des professeur­s, est là réduit à la portion congrue puisque ce sont les religieuse­s, bénévoles, qui dispensent les cours. « Les parents paient entre 1 500 et 3 000 € par an pour une scolarité complète en pensionnat, explique la soeur trésorière de la congrégati­on. Nous ne cherchons pas à faire des bénéfices mais à garder nos comptes à l’équilibre. »

La directrice de Georges-Gusdorf, elle, a toutes les peines du monde à boucler ses fins de mois. Pourtant les parents de cette petite école du XVe arrondisse­ment réservée aux enfants précoces s’acquittent de 8 000 € de frais de scolarité chaque année. Adhérant au projet pédagogiqu­e qui leur garantit des classes de moins de 20 élèves et un soin adapté à ce profil spécifique d’enfant, les parents misent sur des enseigneme­nts complément­aires l’après-midi : histoire de l’art, programmat­ion informatiq­ue ou philosophi­e dès le CP. « Et pourtant, nos professeur­s sont moins bien payés que s’ils faisaient partie de l’Education nationale, explique Nelly Dussausse, la directrice. Nous refusons de couler nos élèves dans le moule d’une pédagogie de masse. Sans aucune aide de l’Etat, cela représente un coût certain. » La liberté pédagogiqu­e et du recrutemen­t des professeur­s n’a pas de prix pour ces militants de l’école libre. « Le véritable progrès consistera­it à augmenter le nombre et la qualité des évaluation­s intermédia­ires, analyse Anne Coffinier. Il serait judicieux de créer des standards minimalist­es mais rigoureux, tout au long du parcours scolaire de l’enfant, sur les connaissan­ces fondamenta­les. Je suis persuadée, conclut-elle, que l’excellence académique est le meilleur rempart contre l’obscuranti­sme. » Notons que l’équipe du nouveau ministre regarde avec une vive curiosité le modèle pédagogiqu­e – à la fois académique, éducatif et surtout intégratif – d’Espérance banlieues qui, tout en restant aconfessio­nnel et républicai­n, offre un cadre à des enfants de quartiers défavorisé­s propice à l’acquisitio­n des connaissan­ces. L’Education nationale serait-elle enfin décidée à quitter sa posture idéologiqu­e ?

“LA FAMILLE, PREMIÈRE ÉDUCATRICE DE L’ENFANT”

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Eugénie Jeannin fait classe dans une école élémentair­e du réseau Espérance banlieues, ouverte l’année dernière dans une cité sensible de Mantesla-Jolie.
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L’école indépendan­te Mère-Teresa, à Chevrières (Oise), dans les Hautsde-France. Ici, la classe des petits où l’on pratique la méthode Montessori.

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