POUSSIN : UN CRI POUR L’ÉTERNITÉ
Le 27 avril 1854, le duc d’Aumale écrit à son ancien précepteur : « J’ai acheté un très beau Poussin, Le Massacre des innocents… » En exil depuis 1848, le cinquième fils de Louis-Philippe continue d’étoffer les collections qu’il a fait venir de France pour orner les murs de sa résidence de Twickenham. C’est ce « très beau Poussin » que le château de Chantilly *, dernière demeure du duc, a décidé de mettre à l’honneur. Sa genèse débute en 1625 par une commande du riche mécène Vincenzo Giustiniani. Natif de Chios, il a été marqué par un épisode douloureux dans l’histoire de sa famille et de cette île. En 1566, les Turcs enlèvent et massacrent une vingtaine d’adolescents ayant refusé de se convertir à l’islam. Ils seront reconnus martyrs par l’Eglise. D’où le choix de cet épisode biblique. Contrairement à ses contemporains – leurs toiles exposées ici le démontrent –, Poussin se concentre sur trois personnages. Cela devient le massacre « d’un » innocent. Les gestes, les couleurs, la composition : tout est d’une extrême violence. Et ce cri poussé par la mère : « Le plus beau cri de toute la peinture »,
dira Bacon, qui reprendra ce thème dans sa série des Têtes, dont Head II (1949), que l’on peut admirer, au côté du Charnier (1945), de Picasso, prêté par le MoMA, dans la partie consacrée à l’influence de cette oeuvre majeure du XVIIe siècle sur l’art contemporain.
SYLVIE MARCOVITCH * Jusqu’au 7 janvier 2018.
LA LOI DE MURPHY
Le maestro est de retour : six ans après avoir sabordé son groupe LCD Soundsystem sur la scène du Madison Square Garden, James Murphy s’est senti incapable de disparaître. Grand bien lui en a pris, son nouveau pensum est un authentique chef-d’oeuvre, probablement l’un des plus grands albums de ces dernières années. Comme d’habitude, Murphy fait un disque d’amoureux de la musique à l’attention des amoureux de la musique : sur American Dream, on s’amuse ici et là à repérer les clins d’oeil amoureux, à Alan Vega (Oh Baby, superbe) aux Talking Heads (Other Voices) en passant par Brian Eno, mais c’est l’ombre de Bowie – héros de Murphy – qui enveloppe cette merveille, de Change Yr Mind, sur lequel il semble avoir déniché un inédit de Lodger avec Robert Fripp à la guitare, aux choeurs de Call the Police
(sommet de l’album, voire de sa carrière), sans oublier l’hommage touchant au Thin White Duke clôturant l’album, Black Screen. Avec, comme toujours, cette manière unique de marier les synthétiseurs aux instruments traditionnels du rock au service de compositions et de textes impeccables, Murphy montre une nouvelle fois combien il plane au-dessus de tout le monde.
NICOLAS UNGEMUTH American dream (Sony), de LCD Soundsystem.
LA DANSE DU VERBE
Lorsque Marie-Claude Pietragalla quitta la direction du Ballet
national de Marseille, on ne donnait pas cher de sa carrière. C’était sans compter sur le caractère et la détermination de l’ex-danseuse étoile de l’Opéra de Paris qui, avec Julien Derouault, son compagnon, a lancé sa compagnie : le Théâtre du Corps. Un pari réussi. Elle reprend en ce moment un de ses succès, Etre ou paraître *, extraordinaire solo chorégraphié par ses soins et interprété par Julien. Une sorte de transe chorégraphique qui sidère par son énergie et les émotions qu’elle provoque. La sublimation du verbe par la danse.
FRANÇOIS DELÉTRAZ
* Studio Hébertot, Paris XVIIe, dimanche et lundi.
CINÉMA
Dans le film tordu d’André Téchiné (Nos années folles), elle se tient droite jusqu’au bout. Amoureuse de son mari déserteur en 14-18, c’est elle qui lui suggère de se déguiser en femme pour échapper au peloton d’exécution. Mais c’est aussi elle qui met fin à l’expérience quand elle virera, après-guerre, à une forme de démence violente, perverse et dangereuse. Dans ce rôle de midinette aux doigts de fée et douée de raison, Céline Sallette est parfaite. Au milieu du magma d’images pleines d’afféterie esthétique abîmant une histoire vraie naguère brillamment racontée
SUCRÉE SALLETTE
par Fabrice Virgili et Danièle Voldman (La Garçonne et l’Assassin, réédité en poche chez Payot), elle écrase de sa puissance humble, sa générosité discrète et son élégance impeccable chaque scène où Pierre Deladonchamps cherche désespérément à faire croire qu’on pourrait croire qu’il est une femme. Après avoir tourné cet été dans le prochain film de Pierre Schoeller (le très attendu Un peuple et son roi), on pourra à nouveau l’acclamer d’ici quelques semaines sur scène dans une adaptation non moins attendue des Trois soeurs de Tchekhov. Du classique pour une moderne… déjà classique.
JEAN-CHRISTOPHE BUISSON