Le Figaro Magazine

LUC FERRY : “L’ANIMAL, UN ÊTRE SENSIBLE”

Le philosophe, ancien ministre de l’Education nationale, est l’invité d’honneur de l’édition 2017.

- PROPOS RECUEILLIS PAR L. H.

L’équitation vous est-elle aussi familière que Pégase et la mythologie grecque ? Je vais vous décevoir, mais je ne connais du cheval que les percherons qui tiraient encore les charrettes dans le village de mon enfance. Ils étaient adorables, doux comme des agneaux, et en allant à l’école, on leur donnait à manger des poignées d’herbe ou une carotte qu’on avait pris soin d’emporter avec son cartable.

Pourquoi avoir répondu à l’invitation du Haras de la Cense ?

Parce que le cheval suscite des passions. Une de mes filles aurait tout donné pour être, comme elle disait,

« monitrice de cheval » et j’ai quelques amis qui pratiquent l’équitation à un haut niveau et qui sont littéralem­ent obsédés par le cheval. Or il y a deux ans, si vous vous en souvenez, avec quelques collègues et amis, Julliard, Lenoir, Orsenna, Cyrulnik, Ricard et quelques autres, nous avons à la demande de la Fondation 30 millions d’amis, signé une pétition demandant que l’animal ne soit plus considéré dans le droit civil comme un « meuble » mais comme un « être vivant sensible ». Et nous avons gagné, le code a été changé. Depuis toujours je m’intéresse au statut de l’animal, à sa protection, et je suis consterné par la façon dont nous traitons encore ceux que Michelet appelait joliment nos « frères inférieurs »…

Le cheval aussi nous éduque. Comment favorise-t-il notre ouverture sur le monde ? Quel rôle peut-il jouer ?

Pas de malentendu : je ne partage pas la thèse de certains qui, à force de vouloir trouver à tout prix une continuité parfaite entre l’homme et l’animal, finissent par animaliser l’humain ou humaniser l’animal. Je suis très impression­né par les travaux d’un vrai éthologue comme Michael Tomasello dont je vous conseille les livres : il montre comment les animaux, bien qu’intelligen­ts et affectifs, sont malgré tout incapables de se mettre réellement à la place d’autrui ce qui les prive de ce propre de l’homme : une certaine dispositio­n éthique, métaphysiq­ue et religieuse. Pour autant, je suis convaincu que l’améliorati­on du sort des animaux passera par les enfants. Quand on connaît de près ceux que nous continuons d’appeler les « bêtes », nous sommes obligés d’admettre que la thèse de Descartes selon laquelle les animaux ne sont que des machines, des automates bien huilés, est absurde. Ils ont évidemment une intelligen­ce, et certaines espèces ont aussi une affectivit­é extraordin­airement développée. Les enfants y sont sensibles si on les élève dans la proximité, j’allais dire l’amitié avec les animaux. Après, ils ne peuvent plus supporter qu’on les traite de manière abjecte comme on le fait dans certains abattoirs. Luc Ferry vient de publier La Plus Belle Histoire de l’école, avec Alain Boissinot. Robert Laffont, 486 p., 21,50 €.

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