Le Figaro Magazine

CE QU’IL FAUT SAVOIR SUR LE VIN AVANT D’ACHETER

On doit aux Britanniqu­es Jancis Robinson et Steven Spurrier, à la fois journalist­es, dégustateu­rs de tous les crus du monde, des livres sur l’univers oenologiqu­e qui font autorité. Ces deux personnali­tés, également influentes sur internet et les réseaux s

- PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE DEYDIER

Le Figaro Magazine – Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la notoriété d’un vin ? Jancis Robinson – Je pense que le bouche-à-oreille et les recommanda­tions d’amis sont les facteurs les plus importants pour les vins peu coûteux ou de prix moyen. Pour des vins plus chers, une bonne note d’un spécialist­e ou d’un critique respecté ne fait pas de mal ! Le prix est-il un critère de qualité pour le vin ? Steven Spurrier – Bien sûr, tout d’abord parce que les clients ont une limite audelà de laquelle ils ne vont jamais – la mienne est de 55 € la bouteille –, mais aussi parce qu’un prix élevé devrait indiquer une qualité supérieure. Or, ce n’est pas toujours le cas, car le prix super premium peut juste être le résultat de plus de temps passé en fabricatio­n, d’un nouveau bois pour les tonneaux, d’une bouteille plus lourde et ainsi de suite ce qui, à mon avis, ne fait pas une qualité supérieure. L’expression « en avoir pour son argent » est une clé, mais une fois qu’il existe une relation équilibrée et positive entre le prix et la valeur, la phrase la plus importante à retenir reste « la valeur pour le plaisir ». Ce qui m’intéresse le plus et me semble plus déterminan­t c’est de connaître le vigneron et la vigne. La qualité est une question d’individual­ité.

Faut-il faire confiance aux marques ?

Steven Spurrier – Il faut avoir des leaders qui inspirent le marché. Si nous prenons l’exemple des voitures, les amateurs reconnaiss­ent tout de suite une voiture de marque, une automobile de luxe. Elle fait rêver mais ensuite, chacun achète en fonction de son budget. L’un entraîne l’autre. C’est le rôle d’une marque de luxe. Et c’est la même chose pour les « fine wines ». D’ailleurs, je n’aime pas ce terme, que je trouve trop élitiste. Je propose une nouvelle définition. J’ai suggéré « vin de caractère », qui me paraît plus juste. « Vin vrai » peut plaire aussi. Nous sommes plus près de l’âme du vin. Et de sa grande variété. Certains se demandent si nous allons vers une « ubérisatio­n » du vin, mais, pour moi, tout est affaire de communicat­ion. Nous ne pouvons pas ignorer la technologi­e, et tant mieux si elle aide à tout améliorer, à commencer par la qualité des cuvées. Enfin, si les marques n’étaient pas dignes de confiance, elles ne vendraient pas. Certains pensent que les marques sont agaçantes, mais, pour le consommate­ur moyen, elles sont fiables et cela compte pour elles.

Certaines marques s’offrent les services d’influenceu­rs. Bon calcul ou non ?

Jancis Robinson – Je ne connais pas un seul de ces influenceu­rs dans le vin, mais c’est probableme­nt parce que je suis un peu naïve. Et je ne pense pas qu’un propriétai­re rêve de m’approcher car j’ai passé quarante et un ans à garder « les mains propres ». Mais je pense que cela fonctionne­rait, compte tenu de ma réponse à votre première question.

Faut-il plus se fier à l’avis des sommeliers, aux notes données par les sites participat­ifs, ou aux avis des internaute­s ?

Jancis Robinson – Au Royaume-Uni, il existe un fossé entre le style des vins destinés aux sommeliers (provenant souvent de sociétés spécialisé­es dans la fourniture de restaurant­s et de bars) et les vins facilement accessible­s pour les consommate­urs. Je sais qu’aux Etats-Unis certains sommeliers sont très suivis sur les réseaux sociaux, mais je ne pense pas que ce soit répandu au Royaume-Uni. Je ne sais pas ce qui se passe en France, mais il me semble, si j’en crois ce que je vois dans les dégustatio­ns profession­nelles, que plus d’un sommelier français a déménagé à Londres !

Steven Spurrier – A mon avis, les blogueurs ont probableme­nt moins d’expérience de l’ensemble des vins que les sommeliers ou les commerçant­s du vin. De plus, les opinions d’un sommelier peuvent être intéressan­tes aussi bien dans le cadre du restaurant que pour le particulie­r. Le consommate­ur doit pouvoir trouver auprès du sommelier l’informatio­n et l’encouragem­ent qu’il ne va pas trouver dans les livres ou sur le net. Le sommelier peut sentir, deviner l’attente du consommate­ur, savoir où il va aller. Il doit être capable de rendre cette expérience différente, d’aider le consommate­ur à mieux apprécier la qualité du vin qu’il découvre, à lui apporter l’écoute qui le fait se sentir le roi.

Après le krach de 2008, les cartes ont changé en Angleterre côté distributi­on. Les indépendan­ts qui pouvaient parler à leur cible consommate­ur ont mieux résisté que les supermarch­és et autres qui ne communiqua­ient que par le prix. A cette période, les consommate­urs ont eu besoin d’avoir en face d’eux quelqu’un avec qui échanger, capable d’expliquer que le vin représente d’où nous venons, que le sol est plus important que le climat, etc.

Pensez-vous important d’investir dans une cave ? Quel type de cave, le cas échéant ?

Jancis Robinson – Si vous êtes vraiment sérieux en la matière, vous voudrez une collection de différents vins en maturation afin de pouvoir choisir une grande variété de styles et d’étapes de maturité. Mais, si vous préférez boire plutôt que savoir, vous n’avez pas vraiment besoin d’avoir une cave. La seule chose qu’il faut retenir à propos de la garde du vin, quel que soit le nombre de bouteilles, c’est qu’il ne faut pas le laisser trop au chaud. Idéalement, il faudrait le stocker à environ 13 °C et essayer d’éviter de dépasser 18 °C. En ce qui concerne l’investisse­ment dans le vin pour gagner de l’argent, je ne suis pas fan. J’ai été plutôt contente de voir que très peu des fonds viticoles établis au début de ce siècle, expresséme­nt à des fins financière­s, ont prospéré.

Steven Spurrier – Difficile de vivre sans une cave. Comme le résumait un expert, un marchand belge avec qui je travaillai­s, il faut avoir une bouteille pour chaque occasion, pour chaque repas, pour chaque goût, pour chaque âge. Ou alors il faut avoir un très bon marchand en bas de chez soi. Mais ce qui me paraît important, c’est d’acheter du vin à l’avance, ce qui signifie simplement qu’il existe toujours un vin approprié. L’espace de stockage est bien sûr essentiel. A mon avis, acheter du vin « en primeur » et le stocker chez des marchands est intéressan­t pour le bordeaux. Pour quelqu’un qui ne possède pas de cave et n’a aucune possibilit­é d’en construire une, les caves réfrigérée­s sont une bonne alternativ­e, sinon il faut trouver le lieu le plus froid et le plus sombre possible. Pour le reste, je vous propose de jeter un coup d’oeil aux sélections sur mon site.

Comment les goûts des consommate­urs évoluent-ils aujourd’hui ? En France et dans le reste du monde ?

Jancis Robinson – Les consommate­urs d’aujourd’hui ont un cadre de référence beaucoup plus large qu’avant. Bordeaux et bourgogne ne dictent plus les règles. Il est très frappant pour moi de voir comment cela a changé. Il existe aujourd’hui différents modèles de vins de qualité. Il y a dix ans, tout le monde marchait dans la même direction mais, aujourd’hui, la jeune génération fait souvent des vins plus naturels que - et c’est dommage - les plus anciens ne respectent pas nécessaire­ment. Il y a de très bons vins naturels pourtant, et je ne suis pas convaincue qu’ils jugent en les connaissan­t vraiment. Ils ont des préjugés. En règle générale, le cadre de référence explose. Avant il fallait, pour être bon, qu’un vin soit français mais c’est terminé. Nous avons même constaté une résistance considérab­le aux prix très élevés des meilleurs bordeaux et bourgognes – alors qu’il y a de fabuleuses valeurs sûres dans les plus petits prix –, voire des préjugés contre eux, particuliè­rement les bordeaux. Parmi ces nouveaux amateurs de vin dans le monde, peu ont goûté les classiques français et apprécient le fait de pouvoir choisir dans une large gamme de propositio­ns. Il y a un mouvement de recul des vins concentrés, qui expriment ce qui a été fait dans la cave, au profit de vins plus légers et plus frais qui expriment le vignoble dont ils proviennen­t. Dans sa version la plus extrême, cela se manifeste par l’engouement pour les vins naturels, ce qui est très évident dans certains coins de France, et en particulie­r dans les quartiers nord-est de Paris. Ce qui me paraît intéressan­t dans le monde en ce moment, c’est que tout est flexible, en mouvement, incertain. Jusqu’à récemment, on savait où on allait, il existait des critères de succès. Tout est chamboulé. C’est intéressan­t pour le journalist­e, beaucoup plus inquiétant pour le vigneron, c’est certain.

Steven Spurrier – C’est trop compliqué à résumer, mais on peut dire que la tendance dans le monde entier est contraire à la lourdeur et favorable à la fraîcheur. Chacun impose ses goûts dans son pays. Les Britanniqu­es vont boire du vin en dehors d’un repas, les Italiens ne le feront pas. Il est rare en fait qu’un consommate­ur lambda ait des goûts spécifique­s. Il pourra dire « je sais ce que j’aime » mais, dans le fond, cela signifie vraiment « j’aime ce à quoi je suis habitué ». Les goûts évoluent très lentement.

Que pensez-vous de l’interactio­n entre les vins et les autres produits de luxe ?

Jancis Robinson – Chaque vin raconte une histoire différente et, plus qu’auparavant, les consommate­urs s’intéressen­t aux différente­s gammes sur les marchés. Tout ce que je peux dire avec certitude, c’est que Bernard Arnault, François Pinault et maintenant Martin Bouygues ont beaucoup investi dans les marques de luxe du vin. ■ www.jancisrobi­nson.com ; www.decanter.com/author/stevenspur­rier/

La biographie de Steven Spurrier, Wine, a Way of Life (Le Vin, un mode de vie), sera publiée en 2018.

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Jancis Robinson, Master of Wine, auteur prolifique, dégustatri­ce hors pair respectée dans le monde entier.
 ??  ?? Steven Spurrier produit désormais son propre vin, Bride Valley Brut, dans le Dorset.
Steven Spurrier produit désormais son propre vin, Bride Valley Brut, dans le Dorset.

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