Le Figaro Magazine

ENRICO BERNARDO “À LA DÉCOUVERTE DE SENSATIONS ET D’ÉMOTIONS NOUVELLES”

A quoi peut ressembler la cave idéale d’un particulie­r ? La réponse avec le meilleur sommelier du monde 2004, propriétai­re du restaurant Il Vino *, à Paris.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANÇOIS CHAIGNEAU

Le Figaro Magazine – Existe-t-il une cave idéale ? Enrico Bernardo – Je préfère parler de cave sur mesure. On peut être plutôt bordeaux ou bourgogne. Plutôt vin blanc que rouge. On s’adapte à sa propre consommati­on et à ses envies. Il faut avoir suffisamme­nt de vins jeunes destinés à vieillir, et assez qui soient prêts à boire pour le plaisir de l’instant. Mais surtout renoncer aux rêves de grandeur, aux achats compulsifs. Il faut éviter de vouloir tout posséder et ne pas être touché par le syndrome du collection­neur.

Les foires aux vins provoquent des envies frénétique­s chez certains amateurs.

Depuis plusieurs années, les grandes surfaces proposent une large sélection, plutôt axée sur le bordeaux, les grands crus classés mais aussi les petits vins de Bordeaux. Il y a de très bons rapports qualité-prix… Les mêmes que pour nous quand nous achetons en tant que profession­nels. C’est plus compliqué dans les régions de vignerons comme la Bourgogne, le Rhône, les domaines emblématiq­ues qui ne veulent pas vendre en grande surface.

Le vigneron bourguigno­n est-il d’un accès difficile ?

Les vins de Bourgogne sont moins abondants que les bordeaux. La demande est supérieure à l’offre. Le Bourguigno­n ne traite qu’avec les gens du métier ou une clientèle privée de passionnés. Il établit avec elle une relation personnell­eetforte.Ilaimequ’onviennele­voir.Onleremerc­ie de bien vouloir nous vendre quelques bouteilles ; et encore plus s’il accepte de nous fournir une caisse supplément­aire. A Bordeaux, c’est le négociant, à l’inverse, qui nous fait des grâces. Si on aime passionném­ent le bourgogne, il faut toujours se faire un ami du caviste de son quartier.

Une cave doit-elle être équilibrée ?

Pour une consommati­on moyenne de 300 bouteilles par an, une cave de 500 bouteilles suffit. Les 200 restantes sont réservées aux fêtes de famille, aux millésimes de naissance des enfants, ou pour offrir… Je suggère d’oublier le côté caisse en bois à n’ouvrir que plus tard pour les grandes occasions. On peut acheter des vins chers sans avoir à les stocker.

Comment répartir ces 500 bouteilles ?

Un tiers de blanc et deux tiers de rouge. Dans les blancs, je mets le champagne. On ne l’achète pas, en général, pour le laisser vieillir. Il faut des classiques, une base : gevrey-cham- bertin, chablis, côte-rôtie, saint-estèphe, un morgon, toutes les régions de France. Puis les découverte­s…

Faut-il être « polyvins » ?

Moitié classique et moitié découverte… Inutile de mettre 100 € dans une bouteille. Il existe beaucoup de vins d’excellente qualité à moins de 20 € en grande surface ou chez les cavistes. Et d’autres encore à 10, 12 et 14 €.

Pas de chasse aux grands crus ?

Très peu. Réserver quelques flacons pour les grandes occasions. La viticultur­e, ces dix dernières années, a beaucoup progressé. La qualité aussi. On fait de belles choses sur les petits terroirs dits limitrophe­s et les appellatio­ns satellites telles que lalande-de-pomerol, côtes-de-bourg, montagne-saintémili­on, puisseguin-saint-émilion, lussac, etc. Surtout sur les grands millésimes comme 2015 et 2016, et aussi 2014, qui a produit des vins gourmands très convenable­s. La Bourgogne est plus élitiste. Privilégie­r alors la qualité et non pas le rapport qualité-prix.

Faut-il naviguer à vue ?

Surtout se cultiver avant de choisir… La Loire produit beaucoup de vins de qualité en blanc et rouge : montlouis, savennière­s, sancerre, saumur-champigny,chinon.L’Alsaceestu­nerégionfa­buleuse.Ses vins vont du sec au moelleux, du pinot gris au riesling ou au muscat, ils sont tous cépages et tous types de goûts… Il faut les découvrir. Ils s’adaptent aux sushis, aujourd’hui très à la mode, aux grillades et aux tartares de boeuf ou de poisson. Autre région fabuleuse en blanc et rouge : le Roussillon. Ses vins ont du charme, du caractère et ne sont pas lourds, contrairem­ent à ce qu’on imagine. Ne pas oublier les rouges de Bandol ou les blancs de Bellet, ni les coteaux-d’aix. La Corse aussi prend de l’importance aujourd’hui. Ses vins blancs sont magnifique­s. On les boit souvent sur place. On les aime et puis, une fois rentré chez soi, on ne les trouve plus.

Les foires aux vins sont-elles des rendez-vous nécessaire­s pour constituer sa cave ?

Agréables, en tout cas. Mais sa cave idéale, il faut l’alimenter toute l’année. S’en préoccuper. Prendre conseil auprès de son caviste, se documenter, visiter les vignerons, se réapprovis­ionner au fil des rencontres et des découverte­s. Et puis assurer un turnover permanent, comme dans un restaurant : une bouteille consommée doit être remplacée. Il faut aussi oser les étrangers. Le monde du vin est explosif. C’est l’occasion de savoir ce qu’est un chianti, un barolo, un rioja ou un riberadel-duero… Vins du Portugal, de Hongrie, de Croatie… La rencontre, la curiosité, l’histoire, on doit retrouver tout ça dans sa cave idéale. Et, quand on ouvre une bouteille, on a alors toujours quelque chose à raconter. ■

* Il Vino, 13, boulevard de La Tour-Maubourg, Paris VIIe.

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