Nicolas Hulot, ministre malgré lui
Il est la figure la plus populaire du gouvernement d’Edouard Philippe, « une prise de guerre » pour Emmanuel Macron, mais Nicolas Hulot est aussi un homme complexe, en proie aux état d’âme. Tel Cassandre, il annonce une catastrophe écologique, tout en s’i
Harvey, Irma, José, Maria : les ouragans se succèdent et Nicolas Hulot reste… discret. Parti au Canada le week-end dernier pour activer la mise en oeuvre de l’accord de Paris sur le climat, il se montre avare de commentaires, évitant les polémiques. Sa popularité lui donne une liberté que l’usage du pouvoir lui retire. « Pour moi qui découvre l’exercice, les questions au gouvernement sont une épreuve chaque semaine dans l’Hémicycle, se désole-t-il, assis dans un salon de son ministère, au deuxième étage de l’hôtel de Roquelaure, à Paris. L’étendue de mon portefeuille est si large que je ne sais jamais sur quel sujet l’on va m’interroger. Les coups peuvent venir de tous les côtés. »
Les yeux rougis trahissant une longue journée de travail, Nicolas Hulot semble toujours habité par un mélange de doute et d’inquiétude. Il n’a rien d’un homme tranquille. Troisième personnalité du gouvernement dans l’ordre protocolaire, le ministre de la Transition écologique et solidaire se laisse souvent envahir par une brutale impatience. « Le temps venu, mais il n’est pas encore là, j’évaluerai mon →
→ utilité au gouvernement. Et si d’aventure, ce que je n’espère pas, elle n’est pas probante, alors je retournerai à ma vie d’avant », annonce-t-il tout de go, en plongeant son regard dans le ciel nuageux de cette rentrée. L’orage menace. Son corps entier semble exprimer une tension, qui l’empêche d’ailleurs de trouver tout de suite une position confortable dans le canapé.
Sollicité par tous les présidents de la République depuis Jacques Chirac, héraut des questions environnementales, réticent à entrer dans l’arène politique, envoyé spécial pour la protection de la planète, le plus populaire des ministres a aujourd’hui le vertige. Certes, il est aux affaires, mais déjà celles-ci semblent lui échapper. Inquiet de jouer l’alibi plutôt que de servir la cause écologique, il cherche encore le mode d’emploi. « Sa responsabilité est écrasante, analyse Serge Orru, ancien directeur général du WWF. Au poste qu’il occupe, Nicolas doit assumer d’être contrarié en permanence. Il se heurte aux conservatismes, aux lobbies et aux résistances des citoyens, mais il sera peut-être le premier à faire vraiment quelque chose. Il est courageux d’avoir accepté. »
Ce qui l’a convaincu de sauter le pas, c’est d’abord le fait qu’Emmanuel Macron ait aboli le « clivage gauche-droite » qui étouffait selon lui la dynamique politique, étant convaincu que les sujets environnementaux profiteraient de cette transversalité. « D’ailleurs, il n’a voté Hamon au premier tour que parce que celui-ci portait le programme le plus assumé et abouti, pas parce qu’il adhérait au PS », confie un proche. L’autre aspect qui l’a emporté est la fenêtre de tir ouverte par Emmanuel Macron, juste après sa victoire. Lors d’un déjeuner en tête à tête le 12 mai, le locataire de l’Elysée lui aurait déclaré : « Moi, je ne connais rien à l’écologie mais avec toi, je veux bien apprendre. » Quatre mois après cette promesse, Nicolas Hulot n’est toujours pas certain de la pleine motivation de son élève. Il attend de sa part des arbitrages forts et symboliques. « Emmanuel Macron et Edouard Philippe, bien qu’ils soient relativement jeunes, fonctionnent encore avec les réflexes du vieux monde, glisse encore Serge Orru. Ils n’ont pas été formés aux questions environnementales. » Le Premier ministre, après avoir officié trois ans chez Areva, a voté contre la loi de transition énergétique et contre celle sur la biodiversité. Au gouvernement, un homme comme Stéphane Travert, ancien PS, ministre de l’Agriculture qui défend une approche industrielle et productiviste, aux antipodes de son rêve de fermes bio et d’agriculture écolo, lui donne des sueurs froides. Nicolas Hulot compte ses alliés. Le temps presse. La planète va mal. Depuis le 2 août, elle vit à crédit, ou plutôt elle s’endette en ponctionnant les énergies non renouvelables. « Nous allons droit dans le mur, répète-t-il. Il nous faut passer d’une économie de cowboys sans limites à une économie de cosmonautes. Un système dans lequel, comme dans une station spatiale, nous ne fabriquerions quasiment pas de déchets. Voilà le défi de la transition écologique et solidaire. »
Le foisonnant jardin cultivé en permaculture dans la cour pavée du bel édifice, sis boulevard Saint-Germain, qui abrite le cabinet, console parfois le ministre de ces tracas. Ses herbes aromatiques parfument les plats sobres qu’il sert →
IL DOUTE ENCORE DE LA RÉELLE MOTIVATION D’EMMANUEL MACRON
→ à ses invités, entre cour et parc. Proche de Pierre Rabhi et soucieux de garder sa silhouette, Nicolas Hulot n’est pas du genre à faire bombance, même si un vieil ami le charrie en trouvant qu’il a « pris du ventre ces derniers temps ».
Sous le feu des lobbies, de ses détracteurs écolos, des défenseurs du paysage qui critiquent la prolifération d’éoliennes, des bureaucrates de Bruxelles, des membres de la COP21, et même de certains de ses amis impatients de le voir triompher, la pression devient parfois trop forte. Alors, les vendredis où son agenda lui apparaît comme une prison, Nicolas Hulot file chez lui, à Saint-Lunaire, où l’attendent son épouse et deux de ses trois enfants. Là, dans sa Bretagne aimée, il peut s’adonner à sa passion pour le kitesurf. Difficile parfois de caser cette activité chronophage - il faut compter vingt minutes pour installer sa voile et vingt autres minutes pour défaire les noeuds après la virée. Ne pouvant tenir à la fois la barre du kite et un téléphone portable, Nicolas Hulot avoue guetter l’officier de sécurité sur la plage, censé lui faire signe en cas d’urgence. Le ministre veut croire, même si c’est illusoire, qu’il est libre. Que rien ni personne ne pourra compromettre cet équilibre de vie chèrement trouvé. Se mesurant à la puissance des éléments naturels, sa part inquiète se repose. Au risque parfois de contraindre son cabinet à annuler une RIM – réunion interministérielle – prévue le dimanche trop tôt dans l’aprèsmidi. « S’il n’avait pas été hyperprofessionnel, maîtrisant la technique à la perfection, il serait mort cent fois en pratiquant des sports à haut risque », analyse un proche. Professionnel, une
“SI JE NE SUIS PAS UTILE, JE RETOURNERAI À MA VIE D’AVANT”
qualité que personne ne lui conteste. Rigoureux, précis, à l’écoute, sans ego mal placé. N’avait-il pas commencé des études de médecine avant de se résoudre à des petits boulots : plagiste, moniteur de voile puis photographe et journaliste, jusqu’au succès d’« Ushuaïa, le magazine de l’extrême », l’émission qui le rendra célèbre dès 1987 ? « Nicolas Hulot travaille beaucoup : il dévore les rapports techniques, apprend tout le temps, témoigne Serge Orru. Et, par-dessus tout, il est humble. Il aurait pu être curé, un bon pasteur. » A-t-il des doutes sur ses soutiens au sein du gouvernement ? « A peine les arbitrages sur le plan climat ont-ils été rendus en sa faveur, le ministre a souhaité les annoncer : ils sont parus dès lundi dans Libération, alors qu’il se trouvait encore à New York », raconte un membre de son équipe. Cette précipitation donne l’impression qu’il souhaite surtout sanctuariser ses acquis. Loin d’être un franc-tireur, il bat le fer tant qu’il est chaud. Impatient ? Chaque mesure qui induit un changement à ses yeux irréversible dans la société devient un trophée. Il souhaite qu’au plus vite la société fasse sa mue, modifie ses habitudes, renonce au consumérisme à tous crins. Un objectif fou, à peine à hauteur d’homme : « Regardez la Chine et l’Inde, que certains disaient archaïques sur les questions d’environnement : qui aurait imaginé qu’elles s’engageraient dans des positions aussi ambitieuses et déterminées sur le climat ? » se réjouit-il.
Difficile de sauver la planète à partir d’une démocratie trop gâtée, qui rechigne aux efforts. Nicolas Hulot peine à trouver la formule magique pour réveiller les consciences. Il trépigne. Et se trouve contraint par un agenda qui →
→ tient autant du grand écart que de Prévert : les glyphosates, la loi hydrocarbures, les états généraux de l’alimentation, la COP22 du 17 novembre à Bonn et le sommet sur l’accord de Paris qu’il accueille le 12 décembre, sur fond de menace américaine de quitter le consensus. Sans parler du plan loup, des chasseurs d’ortolans, de la mise en application du Ceta, de la réforme de la SNCF et des ouragans qui n’en finissent pas. « On a déjeuné ensemble au mois de juin et je dois reconnaître qu’à l’époque ses priorités ne me sont pas apparues très clairement, note insidieusement Dominique Bourg, aujourd’hui président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme.
Qu’attend-il par exemple pour porter la chambre du futur, un projet qui pourtant lui tient tant à coeur depuis cinq ans ? » s’étrangle-t-il. Cette instance, sorte de troisième assemblée représentative, imaginée par sa fondation, qui prendrait en compte les intérêts de l’environnement et du long terme dans la fabrication de la loi, ne semble plus à l’ordre du jour. Ou plutôt si. Son nom a été repris par le président Macron, vidé de son contenu et transformé en un
« lieu où circuleront toutes les forces vives de la nation », émanation du Cese, bonne vieille planque de la République. « Si Nicolas ne s’en occupe pas en imposant une commission sur le sujet, il n’y aura rien dans la réforme constitutionnelle du mois de juin prochain. » Le ministre a-t-il perdu son propre agenda ? Lui qui aurait pu couler des jours tranquilles loin de Paris jusqu’à sa retraite se défend d’en avoir un. Son cabinet est constitué de seulement dix membres. Ils ont pour mission d’animer une administration pléthorique dont le ministre assure admirer le travail. Deux proches constituent sa garde rapprochée : son conseiller spécial, Benoît Faraco, ancien de sa fondation, membre du cabinet Fabius au moment de la COP21 et sa directrice de cabinet, Michèle Pappalardo, coauteur du rapport sur le coût du nucléaire à la Cour des comptes en 2012. Ceux-ci doivent également former à vitesse grand V les deux secrétaires d’Etat juniors qu’on lui a flanqués in extremis pour l’encadrer, au soir du 21 juin, quelques minutes avant l’annonce des nominations du gouvernement Philippe II. « Les deux jeunes ne semblent avoir aucune expérience dans le domaine de l’écologie, s’indigne Dominique Bourg. J’espère qu’ils vont apprendre vite. »
Brune Poirson et Sébastien Lecornu, qu’il n’a pas choisis, ont été récompensés, l’une pour avoir battu Marion Maréchal Le Pen aux législatives, l’autre pour sa proximité avec Bruno Le Maire. Mais ils n’ont évidemment pas la notoriété de leur ministre de tutelle.
« Hulot, c’est Zidane, Omar Sy et l’abbé Pierre tout à la fois, analyse un ami. Il se sent partout à l’étroit. » Reste à savoir s’il parviendra à convertir sa popularité en pouvoir. Le dossier Notre-Dame-des-Landes qui réapparaîtra le 1er décembre prochain constituera une épreuve de vérité sans doute décisive. Edouard Philippe n’a pas caché y être favorable. Nicolas Hulot a fait savoir qu’il était contre…
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NOTRE-DAME-DES-LANDES,
CET AUTOMNE, SERA L’ÉPREUVE DE VÉRITÉ