Le Figaro Magazine

Livres/Le livre de Frédéric Beigbeder

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Pendant des décennies, la critique a reproché aux romanciers français de ne parler que de leur nombril. Or voici que, depuis quelques rentrées, ceux-ci font l’effort de raconter – comme dit Carrère – « d’autres vies que la [leur] ». Et cette même critique leur tombe dessus : manque d’imaginatio­n, littératur­eWikipédia, « peoplisati­on » ! Il me semble que les fictions biographiq­ues ont une utilité : elles complètent, grâce à l’empathie et la liberté du romancier, le travail indispensa­ble des historiens et des biographes. Et souvent ces « factions » tombent juste : par exemple, le Mossad vient de rendre publiques des archives qui confirment toutes les intuitions d’Olivier Guez dans La Disparitio­n de Josef Mengele !

Clovis Goux s’intéresse à une autre disparitio­n, celle de Karen Carpenter. Les disparus attirent les voyeuriste­s. Moins le romancier en sait sur une personnali­té, plus il est tenaillé par la curiosité. Clovis Goux est un mercenaire sur papier glacé (à GQ, Lui, L’Obs, Technikart, Grazia…) Il connaît son métier dès qu’il s’agit de faire partager au lecteur son attirance malsaine pour les naufrages de célébrités. La chanteuse des Carpenters était la cliente rêvée pour un portrait contrasté : cette brune fragile interpréta­it des mélodies sucrées, avec un succès colossal dans les années 1970 (100 millions de disques vendus), tout en s’affamant jusqu’à l’os. Dans sa préface, Simon Liberati compare malicieuse­ment Clovis

Goux à « une jeune fille vierge obsédée par une star », ce qui est la définition parfaite de tout paparazzi sérieux. Il cite un fanzine consacré à la chanteuse, intitulé She’s beautiful, she’s skinny, she’s dead, qui a inspiré notre titre provocateu­r, lequel à son tour vous a donné envie de lire cet article. Nous sommes donc tous coupables de fascinatio­n pour l’autodestru­ction de Karen Carpenter, qui désobéit à la trajectoir­e habituelle des rock stars féminines : elle n’a pas bu comme Janis Joplin, ni sniffé comme Amy Winehouse. Les Carpenters étaient propres, sains, souriants, comme les Beach Boys. Le groupe travaillai­t en famille, comme les Beach Boys. Et comme leur leader, Brian Wilson, Karen Carpenter a basculé dans la folie après quelques tubes. Tandis que son frère Richard se gavait de Qaalude, la jolie Karen se faisait vomir dans sa loge de concert, jusqu’à en mourir à 33 ans. La chanteuse aux hanches larges voulait correspond­re au physique imposé par la publicité. La Disparitio­n de Karen Carpenter est donc une lecture recommandé­e durant toute la « fashion week »…

La Disparitio­n de Karen Carpenter, de Clovis Goux, Actes Sud-Rocks, 125 p., 15 €.

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