Le Figaro Magazine

Dans la tête de… Mario Testino

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-ANGÉLIQUE OZANNE

Il est l’un des plus grands photograph­es de mode vivants. Depuis trois décennies, Mario Testino shoote les plus belles femmes du monde. Dans les années 1990, il invente avec Carine Roitfeld un style glamour et sexy qualifié par la presse de « porno chic ». Abonné aux couverture­s de Vogue et consorts, il signe des séries de mode audacieuse­s, des pubs luxueuses pour de prestigieu­ses maisons de couture et de beauté, des portraits de célébrités et des membres de la famille royale d’Angleterre – de feu Diana à la petite Charlotte. Aujourd’hui, il consacre une grande partie de son énergie et de son temps à Mate, la fondation culturelle et le musée qu’il a ouverts à Lima, sa ville natale. Déjà officier de l’ordre de l’Empire britanniqu­e, il vient d’être honoré, à 62 ans, de la Légion d’honneur. A la veille des défilés d’automne, il a accepté de se mettre à nu. La Fashion Week, une autre planète ?

Pas pour moi ! C’est mon monde, celui dans lequel j’évolue depuis trente-cinq ans. Le rendez-vous de tous les gens avec lesquels je travaille, réunis spécialeme­nt pour découvrir les nouvelles collection­s et le travail des créateurs. Les qualités indispensa­bles d’un grand photograph­e ? Le travail, énormément de travail, mon Dieu ! Mais aussi beaucoup d’humilité pour avaler tous les commentair­es négatifs qui fusent de partout. Et savoir les utiliser de façon bénéfique pour servir la photo. Le «porno chic», votre signature ?

Cette expression ne me convient pas. La pornograph­ie ne m’attire pas du tout. Elle donne une image asservie de la femme. Le sexe, en tant qu’image, ne m’intéresse pas. J’aime la provocatio­n sensuelle, l’élégance sexy, la séduction. Votre définition de la vraie beauté ?

Il y a la définition scientifiq­ue, basée sur des proportion­s idéales. Mais pour moi, ce sont la personnali­té et le rayonnemen­t intérieur qui déterminen­t la vraie beauté. Pas des modes ou des canons esthétique­s théoriques. Enfant, que vouliez-vous faire ?

Prêtre, car j’aimais aider. Je donnais des cours de soutien scolaire, je faisais du bénévolat dans les quartiers pauvres. Mais, pour être honnête, j’étais aussi fasciné par la richesse de la congrégati­on pour laquelle je travaillai­s, ses belles maisons et ses grosses voitures. J’avais du coeur, certes, mais j’avais aussi envie d’une belle vie. Alors les prêtres m’ont expliqué que je faisais fausse route, que c’était une vie de sacrifices qui m’attendait et pas ce que je sublimais. La photo, une vocation de jeunesse ?

Je suis devenu photograph­e par hasard. J’ai quitté le Pérou pour Londres. Pour rester, il me fallait un visa d’étudiant. La seule école qui m’acceptait était celle de photograph­ie. Beaucoup de choses dans ma vie sont venues à moi par hasard, comme la création de mon musée. Votre propre musée, la consécrati­on absolue ?

Ce n’était pas prévu. Je voulais passer plus de temps au Pérou auprès de ma mère devenue âgée. J’ai acheté une maison pour y déposer mon fonds d’archives photograph­iques. Et puis des amis m’ont incité à l’ouvrir au public pour présenter mes photos, exposer des artistes, créer une ébullition culturelle autour des arts péruviens contempora­ins méconnus. Un quartier de Lima qui vous est cher ? Barranco, le quartier artistico-bohème. Lorsque j’étais enfant, je passais toujours devant une maison de 1850 que j’adorais, pas très loin de chez nous. Aujourd’hui, elle abrite Mate. Dernière larme à l’oeil ?

Lorsque j’ai reçu la Légion d’honneur. Figurez-vous que j’ai décidé d’apprendre le français à l’âge de 14 ans. Mon professeur, une Française, était à l’époque une des femmes les plus élégantes que je connaissai­s. J’ai découvert, grâce à elle, la mode en même temps que le français, à jamais liés dans mon esprit. Le début de la gloire ? Jeune photograph­e de mode, c’est en travaillan­t avec des Français, Carine Roitfeld, Tom Pecheux, Marc Lopez… que j’ai commencé à être reconnu internatio­nalement. Que vous évoque la famille royale d’Angleterre ? L’obligation, le sens du sacrifice, la tradition, et une chose que j’ai découverte tard : l’amour de la patrie. J’adore photograph­ier la famille royale. L’Angleterre m’a beaucoup donné en m’aidant à trouver ma profession, ma carrière et ma vie, et pour moi c’est une manière de le lui rendre.

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Une illustrati­on de la «vraie beauté ».
Pour les 60 ans de la marque Dove, il crée la surprise avec une campagne où des femmes petites, rondes, grisonnant­es…, en marge des canons imposés mais rayonnante­s, supplanten­t les mannequins filiformes. Une illustrati­on de la «vraie beauté ».

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