En vue : Guillaume Canet
L’énergie qu’il déploie dans « Mon Garçon », le nouveau film de Christian Carion, résulte d’un talent évident mais aussi d’un concept de création très original. Explications.
L’expérience a des airs de jeu de rôles. Pendant six jours, un comédien a pour mission de donner vie au héros d’un film dont il ne connaît pas l’histoire. Avec comme seul bagage la fiche signalétique de son personnage, il est déposé dans un décor inconnu. Guidé par les maigres indices du metteur en scène, il n’a plus qu’à mener sa quête au même rythme que celui qu’il incarne. Ce défi, Christian Carion rêvait depuis longtemps de le lancer à son acteur fétiche, Guillaume Canet. En 2003, alors qu’ils tournent ensemble Joyeux Noël, il lui confie vouloir réaliser un drame portant sur la disparition d’un enfant. Rien de plus. Quand le duo se reforme, quatre ans plus tard pour L’Affaire Farewell, et que le sujet revient sur le tapis, Carion se fait plus nébuleux. Et pour cause : en développant son projet, il s’est conforté dans l’idée de maintenir son comédien dans le flou le plus total. Ça tombe bien : en 2017, alors qu’ils se retrouvent enfin pour se lancer dans la mystérieuse aventure, Canet a pris goût aux émotions fortes. Depuis leur dernière collaboration, il a campé les rôles les plus variés, a embarqué 5,2 millions de spectateurs dans sa virée ferretcapienne (Les Petits Mouchoirs), a essuyé les foudres de la critique pour son film américain Blood Ties et s’est mis à nu dans Rock’n Roll avec sa compagne Marion Cotillard. Dans la vie, cet homme de 44 ans est devenu papa de deux enfants. Autant dire qu’il était mûr pour incarner Julien, ce père divorcé qui, entre deux avions, apprend que son fils a disparu dans le massif du Vercors où il bivouaquait avec sa classe.
Peu avant la sortie de Mon Garçon, Guillaume Canet nous reçoit dans le bureau germanopratin qu’il partage avec sa moitié pour évoquer cette incroyable aventure. « Quand je suis arrivé sur le tournage, on m’a isolé de l’équipe de techniciens et de comédiens qui avaient répété pendant un mois avec un autre acteur que moi. Comme dans une télé-réalité, j’ai abandonné mon téléphone portable et, pendant six jours, je me suis jeté à corps perdu dans cette histoire. » Epaulé par son ex-femme (magnifique Mélanie Laurent) et une petite équipe de gendarmes, Julien/ Guillaume a alors dû avancer à tâtons pour faire progresser l’enquête et le film. « J’étais sur le qui-vive pour décrocher la moindre information sur ce qui me serait donné à jouer… ou plutôt à vivre. J’ai ainsi ressenti des moments d’émotion totalement imprévus. »
De ce genre d’aventure, on sort forcément enrichi. L’acteur a compris que la magie du cinéma opère lorsque interviennent « ces petits accidents qui vous amènent à vous abandonner totalement ». L’homme, lui, a mesuré l’importance de vivre l’instant présent. « On est souvent partout, sauf à ce qu’on est en train de faire, constate-t-il. On mange en téléphonant, on répond à ses mails en ayant une conversation avec quelqu’un… C’est dramatique. Depuis que je suis père, je tente de corriger ces mauvaises habitudes, mais c’est un exercice difficile pour le boulimique de travail que je suis. »
Un appétit lisible sur son CV. Après Mon Garçon, il est passé devant la caméra de Gilles Lellouche pour s’essayer, avec Poelvoorde, Amalric et Anglade, à la natation synchronisée dans Le Grand Bain. « Revenir, après une expérience aussi courte qu’intense, à un gros film comptant quinze semaines de tournage, de nombreux comédiens et donc beaucoup d’attente, n’était pas si facile », avoue-t-il. D’autant qu’il a enchaîné juste après avec L’amour est une fête, pour lequel il a retrouvé le metteur en scène de La prochaine fois, je viserai le coeur,
Cédric Anger. L’occasion, cette fois, d’avoir Gilles Lellouche comme partenaire et de former avec lui un duo de flics infiltré dans le milieu porno des années 1980. Et, s’il se réjouit de rejoindre, en octobre, Juliette Binoche sur le plateau d’Olivier Assayas, de porter des rôles hauts en couleur et d’écrire le scénario de son prochain film, Guillaume Canet gardera un souvenir intense de l’expérience que lui a permis de vivre Mon Garçon. « C’est la plus grande aventure cinématographique que j’ai vécue. Un cadeau que j’adorerais un jour offrir à un acteur comme réalisateur. »