Le Figaro Magazine

L’IMMOBILIER VICTIME DU FISC ?

Emmanuel Macron est passé à l’offensive. Il veut faire bouger les lignes dans l’immobilier aussi. Alors que la pierre est dans le coeur des Français, il pourrait les déstabilis­er. De façon parfois injuste...

- PAR CAROLE PAPAZIAN

Le marché tourne à plein régime, les logements se vendent vite et les prix montent, et pourtant les Français commencent à s’inquiéter de la place réservée à l’immobilier par le nouvel exécutif. Bien sûr, avec des taux d’intérêt très bas, des crédits peu chers et une économie qui va mieux, les indicateur­s économique­s sont au beau fixe pour la pierre. Le rythme des ventes montre bien que les Français ont décidé de passer à l’action et de saisir les opportunit­és, réalisant les projets qu’ils avaient mis en sommeil ces dernières années. Les notaires ont ainsi enregistré en douze mois 921 000 transactio­ns (chiffres arrêtés à fin juin 2017) et les prix montent. Entre ceux qui achètent leur résidence principale, ceux qui ont fini par se décider à s’offrir une résidence secondaire et ceux qui ont investi dans la pierre alors que les rendements de l’assurance-vie s’effilochen­t, toutes les catégories d’acheteurs sont au rendezvous. Ils profitent toujours de taux de crédit très doux. Ainsi, il est toujours possible de s’endetter à moins de 2 % (lire p. 110). Tout devrait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes au pays de l’immobilier pour les candidats à l’accession et les investisse­urs, d’autant que les indicateur­s macroécono­miques incitent à l’optimisme et que l’économie se redresse enfin. Ce n’est pourtant pas le cas. « La rentrée est dynamique, mais il reste de

gros points d’interrogat­ion sur la politique du gouverneme­nt », résume Yann Jéhanno, président du réseau Laforêt. Le président Macron fait en effet souffler un vent glacé aux oreilles de ceux qui détiennent de l’immobilier ou qui souhaitera­ient investir, et les profession­nels, les associatio­ns d’épargnants et certains économiste­s tirent la sonnette d’alarme (lire p. 102). « Sur le marché immobilier, il faut faire preuve de psychologi­e », rappelle François Berti ère, le président de Bouygues Immobilier. Certes, lorsque l’on achète sa résidence principale, Macron ou pas, cela ne devrait pas changer grandchose. Le besoin est là, la pierre rassure et, que le locataire de l’Elysée aime ou non la pierre, être propriétai­re de sa résidence principale à l’heure de la retraite paraît toujours sage. C’est un actif tangible sur lequel on pourra compter si la pension reçue n’est pas à la hauteur des espoirs…

En revanche, les récentes déclaratio­ns d’ Emmanuel Macron ont fait l’effet d’une douche froide pour les investisse­urs. Début septembre, il n’a en effet pas hésité à inviter « tous les propriétai­res à baisser les loyers de 5 € » par mois en appelant à « la responsabi­lité collective » ! Des propos qui ont ensuite été précisés, l’ effort étant d’ abord demandé aux bailleurs sociaux, ce qui semble d’ailleurs constituer un casse-tête pour les organismes HLM. Mais le mal est fait et cette petite phrase laisse un goût amer aux petits propriétai­res. Et les inquiète à juste titre, tout comme l’évolution de la fiscalité de l’épargne. Celle de la pierre, qui est lourde, le restera, les actifs immobilier­s seront les seuls à supporter l’IFI, l’impôt sur la fortune immobilièr­e qui doit succéder à l’ISF, et la taxe d’habitation reposera sur une proportion réduite de Français. «On pourrait avoir un début d’ attentisme­s ile gouverneme­nt n’a pas rapidement une position claire

sur l’investisse­ment locatif »,

estime Nordine Hachemi, le PDG de Kaufman & Broad, qui rappelle qu’il est encore possible d’investir en Pinel en prenant garde à « toujours regarder la rentabilit­é de l’opération hors avantage fiscal et à se poser la question de l’ occupation du bien ».

En opposant propriétai­res et locataires,Emmanuel Macron fait un raccourci qui n’est bon pour personne. Il inquiète, donnant l’impression de ne pas avoir pris en compte les classes moyennes, qui savent qu’elles devront mettre la main à la poche au moment de leur retraite pour compléter leurs revenus et voient le rendement de leur épargne se réduire comme peau de chagrin (lire encadré).

Beaucoup craignent de se retrouver

sur le bord du chemin. Constructi­on, aménagemen­t du territoire, encadremen­t des loyers, aide personnali­sée au logement, avenir du dispositif Pinel pour l’investisse­ment locatif, prêt à taux zéro (PTZ), exonératio­n de la taxe d’habitation, tous les sujets sont sur la table et c’est bien (lire p. 104).A condition de les traiter à froid, sansaprior­i.Enpensantà­toutle monde. La semaine dernière, sur France 5, une émission diffusée en prime time, Logement : à qui profite la crise ? a dressé un sévère tableau de la politique du logement, montrant notamment combien certains diktats peuvent aboutir à des situations absurdes. Par exemple, la loi qui obligecert­ainesville­smoyennes à construire des HLM alors

En appelant les propriétai­res à baisser les loyers de 5 €, Emmanuel Macron ouvre une polémique inutile

qu’elles n’arrivent déjà pas à remplir les leurs, pourtant réhabilité­es à grands frais, n’a pas de sens. Le mieux est alors l’ennemi du bien. Mais les cheveux ont dû ce soir-là se dresser sur les têtes des investisse­urs face aux dysfonctio­nnements présentés, petits propriétai­res ruinés par un dispositif de défiscalis­ation( le S cellier, ancêtre du Pinel), locataires qui n’arrivaient pas à faire respecter l’encadremen­t des loyers face à des propriétai­res trop gourmands, agents immobilier­s qui ne trouvaient pas de locataires pour des appartemen­ts pourtant remis à neuf par leurs propriétai­res… La France a des marges d’améliorati­on de sa politique du logement, c’est certain. Nul ne conteste que beaucoup →

→ soient mal logés. Mais les Français arrivent encore, pour beaucoup, à acquérir leur résidence principale, c’est l’investisse­ment de leur vie, et on aura besoin des propriétai­res privés pour financer la constructi­on de logements ou la détention de logements locatifs anciens, dont les investisse­urs institutio­nnels se sont délestés parce que pas assez rentables et trop compliqués à gérer. Il ne faut pas l’oublier.

La pierre ne doit pas devenir un bouc émissaire, les épargnants des classes moyennes non plus. Selon le Crédit foncier, le coût médian d’un investisse­ment locatif était de 168 000 € au premier semestre. Certes, les aficionado­s de l’encadremen­t des loyers qui voudraient voir celui-ci étendu au-delà de Paris et de Lille pour protéger les locataires ont beau jeu de mettre en avant les limitation­s de loyers qui existent dans d’autres pays. En oubliant de mentionner qu’en France quand le locataire ne paie pas, il faut des années au propriétai­re pour récupérer son logement, ce qui met parfois en danger sa propre situation financière. Ils oublient aussi de rappeler qu’investir dans l’immobilier d’habitation ne rapporte pas grand-chose quand les prix augmentent et que les loyers baissent. Dresser un tableau en noir et blanc n’a pas de sens. La politique du logement mérite mieux que ça. Les textes que s’apprête à présenter le gouverneme­nt, loi logement et loi de finances, montreront quelle ambition a l’exécutif pour l’immobilier et pour les Français. Et s’il parvient à conserver une juste mesure, en améliorant le logement des uns sans étouffer financière­ment les classes moyennes. L’immobilier est pour elles le seul moyen de se constituer un patrimoine en bénéfician­t de l’effet de levier du crédit. Prendre des risques est plus facile à faire quand on a un patrimoine important, et le particulie­r qui investit pour sa retraite dans un logement locatif n’est ni un profiteur ni un être inutile.

Quel sera l’effet de la politique d’Emmanuel Macron sur le marché immobilier ? Le gouverneme­nt a déjà annoncé qu’il recentrera­it le Pinel sur un nombre plus restreint de villes. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour les investisse­urs s’ils sont, au bout du compte, assurés d’investir dans des villes où la demande locative existe. Certains voudraient remettre en cause le principe d’un dispositif qui encourage l’investisse­ment locatif. « Si l’immobilier n’était pas aussi taxé, nous n’en aurions pas besoin », lance Nordine Hachemi. La révision du PTZ promet elle aussi des débats. « Les suppressio­ns du PTZ en zones rurales et périurbain­es priveraien­t 50 000 à 70 000 ménages modestes d’une aide indispensa­ble pour engager leur projet immobilier », réagit Pascale Poirot, la présidente du Syndicat national des aménageurs (Snal). Même tonalité chez LCA-FFB qui représente les constructe­urs de maisons. Quid des autres mesures envisagées, création d’un prélèvemen­t forfaitair­e sur les revenus du capital de 30 % (prélèvemen­ts sociaux compris), réservé à l’épargne financière, et d’un successeur de l’ISF centré sur l’immobilier ? Certains sont optimistes. « Pour les acquéreurs étrangers fortunés, cela ne changera

On a besoin des propriétai­res privés pour détenir l’immobilier locatif dont les institutio­nnels se sont délestés parce que pas assez rentable et trop compliqué à gérer

rien, l’impôt sur la fortune immobilièr­e restera inférieur aux taxes qu’ils paient par exemple aux Et at s-Unis. La création d’ une flat tax sur les revenus du capital pourrait même amener certains à sortir de l’argent de leurs contrats d’assurance-vie ou de leurs comptes-titres pour le réinvestir dans l’immobilier », espère Alexander Kraft, le président de Sotheby’s Internatio­nal Realty France-Monaco. Chez Barnes, même sérénité. « L’immobilier est une cible incontourn­able quand il s’agit de trouver des recettes faciles pour le gouverneme­nt. Celui-ci fait preuve de créativité en suggérant aujourd’hui aux propriétai­res de rendre aux locataires ce qu’il leur prend d’un autre côté. Concentrer l’impôt sur la fortune sur le seul secteur immobilier est un facteur fragilisan­t, mais l’immobilier reste avant tout une valeur refuge, solide et rassurante, ce qui n’est plus vraiment l’apanage des valeurs mobilières qui, même moins imposé es, resteront plus volatiles. Nous restons optimistes, le marché nous le rend bien », estime Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes. Le gouverneme­nt veut que les Français voient l’immobilier d’un oeil nouveau, qu’ils en rêvent moins. Mais il a besoin d’eux et de leur épargne non seulement pour soutenir les entreprise­s françaises et réindustri­aliser la France, mais aussi pour loger les locataires. Souhaitons qu’il s’en souvienne.

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 ??  ?? Grâce à des taux d’intérêt bas et à la meilleure santé de l’économie, le marché immobilier est reparti avec des transactio­ns record.
Grâce à des taux d’intérêt bas et à la meilleure santé de l’économie, le marché immobilier est reparti avec des transactio­ns record.
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Acheter leur résidence principale est pour les Français l’investisse­ment d’une vie, c’est aussi un moyen de préparer leur retraite.

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