“LA PIERRE, UNE RENTE IMAGINAIRE”
Il est urgent de redonner confiance aux propriétaires immobiliers, estime l’avocat fiscaliste Jean-Philippe Delsol *. Pour permettre un vrai choc de l’offre, il faut libérer le logement de l’excès de contraintes et du poids de la fiscalité.
Le Figaro Magazine – Comment jugez-vous la politique du gouvernement en faveur du logement ?
Jean-Philippe Delsol – C’est une politique contradictoire, voire paradoxale. Le président de la République appelle de ses voeux un choc de l’offre. Il dit ne pas vouloir étendre l’encadrement des loyers, souhaite réduire les normes et les contraintes pesant sur les propriétaires, veut faire en sorte que les permis de construire soient obtenus plus rapidement. Mais, « en même temps », il refuse de réformer la fiscalité très dissuasive que supportent les propriétaires de biens immobiliers ; ou bien encore de supprimer la loi SRU imposant aux villes d’avoir au moins 25 % de logements sociaux. Emmanuel Macron soutient au contraire qu’il faut en priorité augmenter les logements sociaux alors que la France, qui en compte déjà 5 millions, est championne d’Europe en la matière avec 24 % des logements sociaux de toute l’Union européenne pour seulement 14 % de sa population. Or, on le sait, l’excès de logements sociaux tue le marché privé et fait grimper les prix par l’effet de rareté qu’il génère, notamment via l’abus du droit de préemption par les municipalités, comme c’est le cas à Paris. Que faudrait-il faire pour créer un vrai choc de l’offre ?
Il faut libérer le logement de l’excès de contraintes et redonner confiance aux propriétaires en allégeant la charge fiscale insupportable qu’ils subissent. A défaut de revenir sur la suppression pure et simple de l’ISF, dont on connaît la nocivité, l’une des priorités consisterait à exclure de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) non seulement les titres des sociétés d’investissement immobilier (SCPI, OPCI, etc.), mais aussi l’ensemble des biens locatifs détenus par les particuliers. Ce n’est qu’ainsi que l’on convaincra ces derniers de continuer à investir. L’autre piste que je suggère serait d’autoriser la déduction des taxes foncières de l’IFI (et non plus seulement de l’assiette de ce dernier). Additionner taxe foncière et IFI, c’est taxer deux fois la même chose ! Or il y a cette
vieille règle latine qui dit : non bis in idem,
pas deux fois le même impôt sur le même bien. Ce serait un signal fort donné aux propriétaires, une manière de pénaliser moins outrageusement la propriété foncière qui est l’assise de nos libertés.
Les revenus mobiliers (actions, sicav…) vont bénéficier d’une flat tax à 30 %, mais pas les revenus fonciers. Pourquoi une telle différence de traitement ?
C’est une décision totalement injuste. Les investissements locatifs sont aussi utiles à l’économie que les placements financiers. Si un particulier place son épargne dans un bien qu’il loue à une entreprise, il lui rend service : l’argent qu’elle ne mettra pas dans l’achat de ses locaux, elle le consacrera au développement de son activité, et de l’économie tout entière. Si cette personne loue un appartement ou une maison à un autre particulier qui n’a pas les moyens de devenir propriétaire, il rend service à son locataire, mais aussi à l’Etat. La société doit pouvoir loger ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter ; si l’on veut éviter que l’Etat ne consacre trop d’argent à cela, à travers la création de logements sociaux coûteux et souvent mal gérés, il faut encourager les particuliers à investir dans l’immobilier locatif. Au lieu de cela, le gouvernement s’apprête à faire une discrimination totalement arbitraire entre revenus immobiliers et revenus mobiliers !
Comment expliquer une telle injustice ?
Elle repose sur l’idée que l’immobilier constituerait une rente. C’est totalement faux ! Prenons l’exemple d’un particulier pro- priétaire d’un appartement d’une centaine de mètres carrés en province, d’une valeur de 300 000 €. Imaginons que cette personne, assujettie à l’ISF au taux de 1 % et à l’impôt sur le revenu dans la tranche marginale de 45 %, donne son bien en location moyennant un loyer annuel de 9 000 €, soit un rendement de 3 % par an. Une fois déduits la taxe foncière (750 €), les charges non remboursables par le locataire, l’impôt sur le revenu, la CSG et les prélèvements sociaux (45 % d’IR, 4 % de taxe Fillon, 15,5 % de CSG dont 5,2 % déductibles… soit une taxation nette de 4 920 €), sans oublier l’ISF (3 000 €), il ne lui reste en poche que… 60 €, soit 0,02 % du capital, sans compter les impayés de loyer : quelle rente ! Après l’augmentation de 1,7 point de CSG annoncée par le gouvernement, ce rendement deviendra… négatif. * Président de l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), auteur avec Nicolas Lecaussin d’Echec de l’Etat. Pour une société de libre choix, Editions du Rocher.