LES COMPLOTS MAGNIFIQUES
LE CORPS DES RUINES, de Juan Gabriel Vásquez. Seuil, 508 p., 23 €. traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon.
Il y a deux manières de verser dans le « complotisme » d’époque : la paranoïa et la littérature. Laissons là la première, qui fournit assez d’exemples au quotidien, pour nous attacher à la seconde, puisqu’après tout il n’est de roman que de secrets révélés. Par exemple, le secret qui « lie » l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy à celui, à Bogota en 1948, du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán, ainsi qu’à celui, en 1914, du sénateur Rafael Uribe Uribe.Aux manettes de cette brillante et vertigineuse théorie du complot, le plus doué des romanciers latinos de ce temps, Juan Gabriel Vásquez. Le Corps des ruines est son cinquième roman et le confirme un peu plus comme le seul héritier crédible sur le sous-continent d’un Vargas Llosa avec lequel il partage et la maîtrise romanesque et la volonté d’interroger les lignes de force politiques du sous-continent. Il est beaucoup plus question bien sûr, dans ce récit qui s’avoue comme autobiographique (mais n’est-ce pas un piège de plus tendu au lecteur ?), de solitudes contemporaines, de ce que les pères laissent aux fils aussi, que de « simples » complots. Vásquez tisse les fils de plus en plus emmêlés de son histoire jusqu’à égarer tout à fait et volontairement lecteurs et personnages. Cette volonté de rajouter, non de la noirceur, mais de l’énigme au monde, en ce qu’elle est précisément de la littérature, est passionnante. OLIVIER MONY