L’éditorial de Guillaume Roquette
ET SI ON ARRÊTAIT ENFIN D’AFFAIBLIR LES ÉTATS-NATIONS ?
Ouf ! La Catalogne ne veut plus être indépendante. En tout cas pas cette semaine. L’imprévisible Carles Puigdemont a finalement décidé de se montrer accommodant en suspendant le processus entamé par le référendum d’il y a quinze jours. Mais, ne nous y trompons pas, on ne perd rien pour attendre : « la Catalogne sera un Etat indépendant », a-t-il martelé mardi soir. Dans un mois ou dans un an, l’incendie repartira. Et le risque d’une contagion séparatiste en Europe n’a pas disparu. On pourra toujours se rassurer en se disant que la Catalogne est cas particulier. A moins de vivre sur Alpha du Centaure, plus personne n’ignore que cette région a sa propre langue, sa culture, son histoire et son drapeau, et que Madrid – qui s’en mord aujourd’hui les doigts – a depuis des lustres encouragé son particularisme. Traumatisée par le nationalisme triomphant du franquisme, l’Espagne contemporaine s’est voulue « inclusive », distribuant toujours plus de prérogatives aux 17 communautés autonomes qui forment le pays, anémiant jour après jour l’identité nationale. Elle paye aujourd’hui sa faiblesse au prix fort.
L’Union européenne, quant à elle, préfère regarder ailleurs. Tétanisée, elle se drape depuis le début de la crise catalane dans une neutralité bienvenue mais n’est pas pour rien dans la multiplication des revendications séparatistes sur le continent : voilà des années qu’elle renforce à coups de subventions la puissance des Régions, enjambant allègrement les Etats pour mieux conforter son pouvoir.
Affaissement national, effacement étatique : les mêmes causes pourraient bien produire les mêmes effets un peu partout en Europe. Voilà des années qu’il est de bon ton de dénoncer « les égoïsmes nationaux », mais ce sont bien les Régions qui veulent faire bande à part. Surtout quand elles sont riches ! Ce n’est pas un hasard si l’Italie du Nord (voire la Vénétie et la Lombardie), la Flandre ou la pétrolifère Ecosse s’agitent à la suite de la Catalogne pour réclamer leur indépendance. Dans nos contrées, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’exprime plus une volonté d’émancipation (comme dans les pays colonisés) mais plutôt le désir de jouir tranquillement de sa prospérité.
Face à ces menaces centrifuges, les pays européens n’ont pas trouvé la recette miracle. Mais au moins peuvent-ils s’efforcer de faire vivre chez leurs ressortissants l’attachement à un bien commun national au lieu de prôner toujours plus d’Europe. En France, où un risque de partition existe aussi (même s’il est d’une autre nature) dans nombre de « territoires perdus de la République », cette politique a un nom : l’assimilation. Mais elle ne fait plus recette. Emmanuel Macron préfère appeler de ses voeux, comme il l’a dit au début du mois à la Sorbonne, une « souveraineté européenne qui nous permettra de nous défendre et d’exister ». Certes, le président de la République imagine d’abord cette Europe supranationale dans le domaine économique, où elle est effectivement l’échelon pertinent face aux géants américains et chinois, mais on n’est pas certain qu’il veuille s’arrêter là. Décidément, sale temps pour les Etats-nations !