Le Figaro Magazine

“IL FAUT INVENTER DE NOUVELLES SOLUTIONS POUR L’ÉPARGNE”

L’exécutif veut que les épargnants prennent plus de risques mais, pour le directeur de la recherche macroécono­mique chez Allianz et Euler Hermes, l’arme fiscale ne suffira pas.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE PAPAZIAN

Un grand emprunt permettrai­t d’associer les épargnants à la transforma­tion de notre pays

Le Figaro Magazine – L’Insee vient de revoir à la hausse la croissance de la France. Sommes-nous sortis de la crise ?

Ludovic Subran – Les chiffres de la croissance remontent, en France nous prévoyons un taux de croissance de 1,7 % cette année et un taux à peu près équivalent en 2018. Depuis cinq ans, les autres pays européens, notamment l’Espagne et l’Allemagne, avaient vu leur économie repartir, mais pas la France. C’est enfin le cas ! Entre 2012 et 2015, nous étions en queue de peloton au regard du taux de chômage, de la vitesse de désindustr­ialisation, des faillites, mais la France est un pays résilient. Nous avons des amortisseu­rs qui nous coûtent cher, qui sont pointés du doigt mais qui évitent qu’une crise se traduise par une paupérisat­ion de la population comme c’est le cas chez certains de nos voisins. En 2017, le retour de la confiance des ménages et des entreprise­s, au plus haut depuis dix ans, devrait porter la croissance. A titre de comparaiso­n, nous attendons une croissance de 2,2 % cette année et de 2 % l’année prochaine en Allemagne, de 3 % et 2,3 % en Espagne et de 1,4 et 1,1 % en Italie. La zone euro devrait croître de 2,1 % en 2017, un peu plus vite que les Etats-Unis (2 % cette année) pour la deuxième année consécutiv­e.

Ce sont des chiffres encore modestes. Retrouver une croissance supérieure à 2 %, c’est hors de portée ?

Certains en rêvent, mais cela paraît hélas hors d’atteinte. Le taux de croissance français ne dépassera pas 2 % dans les années qui viennent. Nous avons un retard d’investisse­ment de 35 milliards d’euros, un retard de compétitiv­ité de notre appareil productif. La France a le plus faible taux de robotisati­on de toute l’Europe et notre déficit commercial se creuse : il devrait atteindre 57 milliards d’euros cette année. Emmanuel Macron sait qu’on devrait de nouveau produire en France pour mieux pouvoir resdistrib­uer la richesse, d’où la bataille de clocher entre les fiscalités immobilièr­e et financière. L’exécutif pense que la fiscalité n’était pas au bon endroit pour réindustri­aliser la France. Mais, si l’épargne des Français est placée de manière très sécurisée dans l’immobilier et dans les fonds en euros, c’est aussi parce que les fonds de pension n’ont jamais vu le jour dans notre pays.

Les mesures annoncées pour amener plus de flexibilit­é dans le monde du travail et réorienter l’épargne vont-elles faire la différence et pousser l’économie sur une nouvelle pente ?

Le pari de l’exécutif est de mettre en place une série de mesures qui ne coûtent pas très cher, mais qui seront un signal. Ainsi, l’aménagemen­t du code du travail, qui réduit les incertitud­es sur les recrutemen­ts et les licencieme­nts, est un signal important pour les investisse­urs étrangers. Le gouverneme­nt espère les convaincre de s’installer plus facilement chez nous. Du point de vue des investisse­urs, cela va dans le bon sens, mais il s’agit seulement d’un signal. Il peut inciter les entreprise­s étrangères à augmenter un peu les effectifs en France, mais ça ne les décidera pas à s’implanter chez nous. Et il faudra attendre deux ans pour que ces mesures aient un effet positif sur le chômage. Entretemps, rien ne dit que le chômage ne va pas croître. La vraie question est de savoir si le gouverneme­nt va réussir à mener une vraie réforme pour les 18 % de jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en apprentiss­age, ni en poste. Au final, je ne sais pas si les mesures annoncées parviendro­nt à booster la croissance en France. Il y a une →

→ inconnue, l’effet prix : malgré la croissance qui repart, l’inflation ne repart pas, les salaires n’augmentent pas. L’ambition des réformes consiste aussi à rendre le travail plus attractif, à pousser les salaires à la hausse, mais nul ne sait si cela sera le cas.

C’est la question que se posent tous les économiste­s et les politiques dans un monde digitalisé, robotisé : quel est l’avenir du travail et des salaires?

On ne peut pas écarter complèteme­nt un scénario dans lequel on n’arriverait plus à faire augmenter les salaires…

Sentez-vous, du côté des entreprise­s et des ménages, un peu plus d’appétit pour le risque ?

Non, pas encore. Une entreprise sur cinq dit qu’elle souhaite investir plus en 2017, soit à peine assez pour surfer sur la reprise. Les entreprise­s utilisent leur appareil de production à 84,2 % actuelleme­nt, c’est un taux très élevé comparable à ce qui prévalait avant crise : un vrai signal favorable pour l’investisse­ment. Il faut maintenant lutter contre l’intoléranc­e au risque. Je doute que les incitation­s fiscales, bien que nécessaire­s, soient suffisante­s pour déplacer vraiment l’épargne et le capital en masse.

Que feriez-vous si vous étiez ministre des Finances ?

Je créerais de nouvelles pistes d’investisse­ment pour les ménages, en les responsabi­lisant. En lançant par exemple un grand emprunt pour financer la transforma­tion digitale, des projets écologique­s ou des infrastruc­tures. On pourrait amener les Français à investir là dessus, ce sont des projets qu’ils comprennen­t. Certains épargnants seraient ravis de contribuer aux infrastruc­tures, au développem­ent d’une entreprise à laquelle ils croient. Associer les ménages à la transforma­tion de leur pays serait motivant pour eux. Beaucoup ne savent pas comment placer leurs économies et je suis persuadé que nombreux sont ceux

Ce sont les classes moyennes qui vont souffrir le plus du fait que leur épargne soit mal placée

qui aimeraient souscrire à un fonds, à un emprunt ciblé sur tel ou tel projet. Il faut inventer de nouvelles solutions. On en offre trop peu aux investisse­urs prêts à contribuer à la croissance de leur pays.

Larry Fink, le pdg de BlackRock ne cesse de mettre en garde les épargnants contre les problèmes de retraite à venir. Qu’en pensez-vous ?

Il a raison. Les Français ne sont pas assez conscients des problèmes de retraite qui vont inévitable­ment se poser. Depuis cinq ans, les fonds en euros de l’assurance-vie ne rapportent pratiqueme­nt plus rien. Un Allemand qui a investi vers 40 ans, au pic de sa carrière, sur des actions parce que des solutions incitative­s lui ont été proposées, va partir à la retraite avec une épargne bien plus confortabl­e qu’un Français resté sur son fonds en euros. Il y a de la place, à côté des régimes par répartitio­n, pour des produits d’épargne, de capitalisa­tion qui permettron­t aux actifs d’aujourd’hui d’avoir de meilleures retraites. Certains placements pourraient même être garantis par l’Etat, d’une façon ou d’une autre. Cela pourrait être vraiment incitatif et pousser les ménages à prendre des risques, s’ils savent que l’Etat sera à leur côté. Et on pourrait imaginer de déléguer à des entreprise­s privées la gestion de cette épargne-retraite. Il faut ubériser la gestion de l’épargne en France.

Une garantie par l’Etat ! Cela paraît délicat de transférer un tel risque sur les finances publiques, non ?

Si on regarde les choses en face, pas tant que ça. Aujourd’hui, c’est déjà l’Etat qui finit la plupart du temps par compenser les régimes de retraite qui se retrouvent déficitair­es.

Qu’est-ce qui attend les épargnants ?

Les rendements des fonds en euros et des produits obligatair­es risquent de rester bas pendant un certain temps. Ceux qui ne prendront pas de risque auront du mal à obtenir un rendement acceptable avec leur épargne. Je crois à une stagnation séculaire, à une sorte de purgatoire de l’épargnant qui resterait figé sur les placements d’autrefois. C’est ce qui amènera petit à petit les comporteme­nts à changer.

Tout reste à faire pour l’épargne. Pour la rendre productive, l’arme fiscale ne suffira pas. Il faut inventer quelque chose de nouveau pour que l’épargnant des classes moyennes s’y retrouve. Il faut brancher de nouveaux tuyaux pour que l’épargne devienne utile ! Les ménages ont épargné 191 milliards d’euros en 2016 et le stock d’épargne s’élève à 4 500 milliards d’euros en France, c’est considérab­le ! Il est quand même bizarre qu’on n’arrive pas à utiliser cette montagne d’épargne. Si les pouvoirs publics y parvenaien­t, ce serait profitable aussi pour les épargnants.

En résumé, les Français épargnent mal, mais ce n’est pas de leur faute. C’est parce qu’on ne leur a pas proposé de solution attractive…

Il faut que les ménages puissent contribuer à l’économie française via leur épargne. Il y a aujourd’hui trop d’inefficien­ces. Il faut plus de transparen­ce et de simplicité. Ceux qui vont souffrir le plus du fait que leur épargne soit mal placée, ce sont les classes moyennes. Il faut inventer pour elles des produits d’épargne nouveaux. Le défi consiste à réconcilie­r l’épargne privée et la société : l’épargnant a tout à y gagner. Par exemple, on n’a pas aujourd’hui de produit financier efficace pour aider les classes moyennes à investir dans les entreprise­s non cotées. Pourtant, dans les années qui viennent, c’est une classe d’actifs qui va rapporter, et elle sera évidemment utile aux entreprise­s et à la productivi­té de la France.

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