La page d’histoire de Jean Sévillia
Le 1er septembre 1969, Gabrielle Russier se donne la mort. Cette enseignante trentenaire, l’année précédente, avait eu une liaison avec un de ses élèves, âgé de 16 ans, poussant les parents du garçon à engager une action judiciaire qui déclenchera les passions, les uns appelant à la liberté de l’amour, les autres criant au scandale, controverse à laquelle la jeune femme ne résistera pas. Moins de cinquante ans plus tard, Emmanuel Macron est candidat à l’élection présidentielle en faisant campagne au côté d’une épouse avec qui il a vécu quelque chose d’analogue, sans que cela, en apparence, ne dérange personne. Au cours de l’été 1964, les premiers seins nus apparaissent sur les plages de Saint-Tropez, piquant la curiosité de la presse qu’on ne nomme pas encore people. Un demisiècle plus tard, pendant l’été 2016, les journaux font écho à un sujet moins frivole, le burkini, mais où passent en miroir des idées contraires sur le dévoilement et la dissimulation du corps féminin. Le
5 mai 1974, le candidat du Front national à l’élection présidentielle, Jean-Marie
Le Pen, réunit 0,75 % des suffrages. Le
23 avril 2017, au premier tour du même scrutin, sa fille remporte 23,75 % des voix, et se qualifie pour le second tour. Les faits qui précèdent ne sont pas tous de même nature, certes, mais l’historien JeanFrançois Sirinelli leur attribue un caractère emblématique. « Les métamorphoses connues par la société française depuis un demisiècle, souligne-t-il avec insistance, ont été considérables par leur amplitude et multiples par leur succession rapide. »
Professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences-Po, spécialiste de la Ve République et auteur de multiples ouvrages qui mêlent histoire politique, histoire culturelle et histoire des mentalités, l’auteur retrace ces bouleversements qui touchent à la sphère publique, au jeu sociopolitique, mais aussi au domaine privé, intime, que ce soit du point de vue des moeurs, des loisirs ou du rapport à l’argent. Sirinelli porte sur ces transformations un regard clinique un peu froid : on aimerait des appréciations sur ce qui n’a pas toujours été un progrès. Les moins jeunes, toutefois, liront ces pages en revoyant le film de leur vie, et les plus jeunes apprendront ce qu’était le monde d’avant, ce qui ne leur fera pas de mal. Les Révolutions françaises, 1962-2017, de Jean-François Sirinelli, Odile Jacob, 384 p., 23,50 €.