Le Figaro Magazine

Vu de l’étranger... George Weah

- TANGUY BERTHEMET

Les cheveux grisonnent un peu, la silhouette s’est un rien empâtée. Mais George Weah affiche encore ses mouvements souples, ces gestes chaloupés qui ont fait de lui, un temps, un joueur de foot hors classe. A 51 ans, « Mr. George » conserve surtout une ambition débordante et intacte. La cible n’est plus la même. L’ancien avant-centre a oublié le sport pour se dessiner un destin de Président de son pays natal, le Liberia. Et le rêve prend forme. Le 16 octobre, les résultats du premier tour de l’élection présidenti­elle l’ont placé en tête, avec près de 40 % des voix, dix points devant le vice-président sortant Joseph Boakai. Weah se garde bien de crier victoire. Sa garde rapprochée a beau affirmer que le duel qui s’annonce n’est qu’une pure formalité. Lui sait trop bien que rien n’est jamais joué avant la dernière minute. Une façon de montrer qu’il a changé, que le buteur impétueux a laissé place à un politicien madré, qu’il « a appris ».

En 2005, lors de sa première candidatur­e, il avait flairé la victoire trop vite. Déjà Monrovia l’avait bombardé largement en tête. Quelques mois auparavant, la capitale lui avait offert un triomphe pour son retour au pays après des années d’absence, des milliers de fans l’acclamant aux cris de

« George President ». Le Liberia venait de vivre douze ans d’une épouvantab­le guerre civile qui laissait 250 000 morts, et le dictateur Charles Taylor venait de partir en exil. Auréolé de ses années de victoires à l’AS Monaco, au PSG puis a l’AC Milan et peutêtre plus encore par le Ballon d’or en 1995, Mr. George se voyait déjà roi. « Je suis un héros national, un modèle », prétendait-il. Il avait été finalement sèchement battu par Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue en Afrique. Six ans plus tard, il retente sa chance, comme vice-président, avec le même résultat. Son parti, le Congress for Democratic Change (CDC) aura beau crier à la fraude, non sans raison, « Mama » Ellen l’emporte à nouveau.

Cette fois, George Weah s’est donc préparé. La première étape fut de se faire élire, en 2014, sénateur de Monravia, un scrutin enlevé haut la main face à l’un des fils de la présidente. Depuis, chaussée de petites lunettes et en costume, l’ancienne gloire s’est taillée une réputation de politique. S’il ne court pas les réunions publiques, il n’oublie pas d’investir un peu de sa confortabl­e fortune dans des programmes d’aides aux pauvres, aux malades ou à l’éducation et s’afficher aux côtés de gamins loqueteux sur des terrains de foot improvisés.

Il a aussi su lier des alliances politiques, quitte à surprendre. Pour sa campagne de 2017, il a ainsi désigné comme colistier, Jewel Howard-Taylor, sénatrice certes respectée mais aussi épouse de Charles Taylor. Weah apparaissa­it pourtant comme un anti-Taylor féroce. En 1996, le footballeu­r avait soutenu l’idée d’une interventi­on de l’ONU au Liberia. Furieux, Charles Taylor avait alors envoyé ses hommes incendier la maison de la superstar. Deux de ses cousines avaient été violentées par les miliciens. Aujourd’hui, le candidat à la présidence ne s’étend pas sur l’étrange union. « Tout le monde était l’ami de Charles Taylor », glisse-t-il, jurant seulement n’avoir « aucun contact » avec le sulfureux chef d’Etat déchu. Il écarte d’un même revers de main les autres critiques, sur la légèreté de son programme ou sur sa présence fort peu assidue au Sénat. Politicien instinctif comme le joueur qu’il fut, il pense sa force ailleurs. Dans sa réussite invraisemb­lable pour un gamin né dans une famille de rien, élevé à la dure par sa grand-mère dans un bidonville de la capitale. « Personne ne devrait avoir peur du changement. Regardez ma vie : je suis passé de footballeu­r à homme politique », assène-t-il. Les Libériens comprennen­t. Ils entendent que Weah est kru, une ethnie locale, autant dire pas un avantage dans un pays toujours dominé par les descendant­s des esclaves américains « fondateurs » du Liberia au XIXe siècle. Ils entendent que tout est peut-être possible. Alors avant « la finale » qui se déroulera dans trois semaines, le footballeu­r martèle sans cesse son seul vrai message à ses électeurs : « Nous sommes pareils ».

L’ancienne star du foot bientôt Président ?

 ??  ?? Ballon d’or en 1995, l’ex-attaquant de l’AS Monaco puis du PSG est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidenti­elle au Liberia. A 51 ans, le candidat des défavorisé­s affrontera le vice-président Joseph Boakai et croit en sa bonne étoile.
Ballon d’or en 1995, l’ex-attaquant de l’AS Monaco puis du PSG est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidenti­elle au Liberia. A 51 ans, le candidat des défavorisé­s affrontera le vice-président Joseph Boakai et croit en sa bonne étoile.

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