LES GÉANTS D’INTERNET NE SONT PLUS INTOUCHABLES
Complaisants avec les puissants, moralement discutables, fiscalement douteux… Les géants américains Google, Facebook, Twitter et LinkedIn concentrent sur eux les feux croisés de la critique – et ça commence à porter. Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a pris les devants dès la fête du Yom Kippour. « A ceux que j’ai pu blesser cette année, ou pour la manière dont on a pu utiliser mes services, a-t-il dit en paraphrasant la liturgie du jour, je demande pardon… » Ce qui revient à reconnaître que de nombreuses personnes ont été victimes de la désinformation, de la propagande et des fake news charriées par son réseau social.
Cette semaine, c’est Twitter qui cherchait à son tour à se dédouaner du scandale de Hollywood. Comble d’hypocrisie : hier, la complaisance pour le producteur prédateur quand celui-ci était puissant ; aujourd’hui que celui-ci est déchu, on l’abandonne au justicier populaire anonyme… Ces mêmes réseaux sociaux sont accusés d’avoir servi à la campagne d’intoxication d’officines russes en faveur de Trump l’an dernier. Mais c’est peut-être bien un cabinet d’avocats spécialisés, Keith Altman, qui aura porté le coup le plus rude.
Le 12 octobre, ses avocats basés dans le Michigan ont déposé devant la justice de Californie (siège des sociétés internet) une plainte contre Google, Facebook et Twitter pour complicité d’apologie du terrorisme : 112 pages de conclusions présentées au nom de la famille d’un Américain et de son fils tués dans l’attentat de Nice. Le même cabinet a ouvert six procédures pour d’autres victimes d’attentats, d’Istanbul à Barcelone. Ce que Gilles Kepel a démontré depuis des années, Keith Altman le transforme en chef d’accusation : « Sans Twitter, Facebook et Google, la croissance explosive de l’Etat islamique eut été impossible. » Les trois réseaux sociaux se réfugient derrière une loi américaine de 1996 qui les exonère de responsabilité à l’égard des sites qu’ils abritent. Sauf que ces réseaux savent très bien « expulser d’internet » les sites qui leur déplaisent : ils l’ont fait, le 16 août dernier, après les émeutes de Charlottesville en fermant les comptes des « suprémacistes blancs ». Considèrent-ils les 10 000 sites djihadistes (dont 2 500 francophones) comme moins dangereux ? On attend les suites de la plainte.
Sans Twitter, Facebook et Google, la croissance explosive de l’Etat islamique eut été impossible