L’ENFANT-OBJET SUR YOUTUBE : LOISIR OU TRAVAIL ILLÉGAL ?
Depuis six ans, une nouvelle génération d’humoristes a su, souvent avec talent, inventer une nouvelle forme d’expression : le vlog – comme un blog, mais en vidéo diffusée sur YouTube. Leur public ? Majoritairement des jeunes : des lycéens et des collégiens qui, inspirés par leurs idoles, ont désormais leurs propres chaînes YouTube. Celles-ci, souvent monétisées, rapportent potentiellement de l’argent chaque mois à leurs propriétaires dès lors qu’une vidéo dépasse les 10 000 vues. Ce modèle économique, dont la structure suscite des débats et dont les marques se sont emparées pour faire la promotion de leurs produits, a également encouragé la création d’un nouveau type de chaîne, celles où de jeunes enfants en sont les protagonistes. Comme Swan the Voice, mise en lumière en avril dernier dans un reportage de l’émission « Sept à huit », sur TF1. Avec 1,7 million d’abonnés, la chaîne met en
scène deux jeunes garçons : Néo, 12 ans, et Swan, 6 ans, filmés par leur mère.
Tout commence en avril 2015 : une première vidéo est mise en ligne. Titrée « Enfant 3 ans chante chanson alphabet en français », elle dure quarante secondes. D’autres, où l’enfant reprend des comptines, puis des tubes de variétés, sont postées à la suite de celle-ci. Progressivement, le rythme des publications s’accélère. Le contenu évolue lui aussi : fini les chansons, Swan est rejoint dans des vidéos par son grand frère. Unboxing (une vidéo où l’on se filme en train de déballer un produit… Passionnant) d’une console de jeux, dégustation de bonbons et de chips, visites de parcs d’attractions, vacances en famille… Toute une vie quotidienne archivée en vidéo au fur et à mesure que les abonnés et le nombre de vues augmentent. Les titres aussi changent. Les deux bambins apparaissent désormais sous leurs vrais noms. Depuis la création de la chaîne, il y a deux ans et demi, 942 vidéos ont été postées, soit plus d’une vidéo par jour.
Si ce phénomène nouveau n’a pas manqué de soulever des interrogations quant à sa légalité, il jouit d’un certain flou juridique. La Commission des enfants du spectacle – qui encadre l’emploi des moins de 16 ans dans des activités relatives à la télévision, le cinéma, la radio, etc. – ne prévoit rien en ce qui concerne internet. Et de renvoyer vers la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) qui confirme au Figaro « ne pas avoir plus d’informations sur ce sujet ». Excepté « un élément de réponse transmis par la Direction générale du travail ». En se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation de juin 2009 relatif à une émission de télé-réalité, le cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud concède que « ce phénomène assez nouveau n’est pas actuellement encadré de façon spécifique par le code du travail », mais que « les conditions de tournage des vidéos diffusées sur YouTube, telles que nous les connaissons aujourd’hui ne permettent pas de présumer l’existence d’une relation de travail et dès lors relèvent d’un loisir privé ».
Pour l’avocate Eloïse Wagner, qui s’est penchée sur le sujet dans une vidéo (sur YouTube) «si cela peut relever d’un loisir privé, cela ne fait pas obstacle à ce que la situation puisse être requalifiée en contrat de travail.» Selon Serge Tisseron, psychiatre spécialisé sur le rapport des enfants aux écrans et à internet, « c’est une forme de maltraitance. Mais c’est finalement dans la lignée d’émissions télévisées comme “The Voice Kids” : on en fait de jeunes adultes. » Dans le reportage de TF1, lorsque le journaliste lui demande si elle comprend que des gens puissent être choqués de voir des enfants exposés ainsi, la mère de Néo et Swan répond : « Je ne vois pas en quoi ça les concerne puisque ce ne sont pas leurs enfants. En tant que mère, j’estime qu’ils sont heureux comme ça. » Pour Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), « si la raison qui pousse les parents à diffuser l’image de leurs enfants sur la toile est financière, mesdames et messieurs les ministres, saisissez-vous du sujet. Et aujourd’hui, il suffit de simplement regarder le contenu de ces vidéos pour voir qu’il s’agit d’un gagne-pain pour les parents. » Egalement administrateur à l’association La Voix de l’Enfance, Thomas Rohmer affirme au Figaro réfléchir à des poursuites au civil contre ces chaînes et d’être en discussion avec les services juridiques de Google (propriétaire de YouTube). « Le monde d’internet va toujours trop vite, et comme d’habitude, le législateur a un train de retard. Mais des affaires similaires prouvent que les choses évoluent. » En Autriche, une adolescente de 15 ans poursuit ses parents pour violation de sa vie privée… pour avoir publié environ 500 photos de son enfance sur Facebook.
■
→ cours de mon développement, insiste Cyrulnik, je me suis représenté votre monde mental grâce à des altérités nourries, alors j’ai appris à me représenter le monde d’un autre. Je ne peux plus tout me permettre. Quelque chose va me freiner. Je vais être gêné de vous gêner. Sinon, je ne me rends même pas compte que je suis pervers. Je n’ai pas de représentation mentale. La plupart des violeurs, conclut-il, sont d’une innocence criminelle incroyable. Ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils ont causé. »
Alors, faut-il interdire l’accès aux écrans à nos enfants ? Pas si simple. Olivier Houdé, directeur du laboratoire CNRS de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant à la Sorbonne, explique : « Contrairement à un cliché souvent répandu, le recours aux écrans n’exclut pas nécessairement les interactions sociales et le partage à travers ou autour de l’écran, ni même des jeux de motricité fine avec les doigts, par exemple dans des logiciels éducatifs de géométrie Montessori où il s’agit d’imiter des rotations d’objets en 3D. Les laboratoires de sciences cognitives, ajoute-t-il, ont aussi conçu des logiciels spécialisés pour aider les enfants à surmonter sur mesure, c’est-à-dire à leur rythme avec l’ordinateur, les difficultés d’apprentissage en calcul et en lecture. Des études de psychologie expérimentale ont également démontré que la pratique de jeux vidéo d’action améliore les capacités d’attention visuelle des enfants de 7 à 17 ans : une meilleure exploration du champ visuel pour identifier un élément particulier sur l’écran, la rapidité à changer de cible (flexibilité) et la capacité de prêter simultanément attention à plusieurs choses. » Quid de la mémoire que les écrans, devenus nos cerveaux exogènes, aboliraient ? Une étude de psychologie expérimentale met en évidence que déjà les jeunes adultes d’aujourd’hui retiennent plus les accès (les liens sur les moteurs de re- →
NE JAMAIS INTERDIRE, TOUJOURS ACCOMPAGNER