LE SALON DE MARBRE RESTAURÉ AVEC PASSION
→ fallait parer aux urgences, mettre le château hors d’eau avant qu’il ne se détériore définitivement. Montant de la facture : 1 million d’euros, dont 400 000 euros apportés par l’Etat, le château d’Esquelbecq bénéficiant de la protection des Monuments historiques depuis 1987. Une décision prise par François Léotard, à l’époque ministre de la Culture et de la Communication. Mais la tâche est encore loin d’être achevée.
En septembre 2016, Johan Tamer-Morael a donc décidé de se retrousser les manches et de se consacrer pleinement à Esquelbecq. Objectif : poursuivre les travaux de restauration entrepris par ses parents et, surtout, redonner vie à cette propriété familiale à laquelle il est profondément attaché. Ces dix dernières années, Johan s’intéressait déjà de près au sauvetage du château familial, s’impliquant dans le montage des dossiers de subvention, le choix des artisans, le suivi des chantiers… Mais il a eu envie, une fois le gros oeuvre achevé, d’écrire lui-même une nouvelle page de l’histoire d’Esquelbecq. Entrepreneur dans l’âme, il a même décidé d’en faire son nouveau projet professionnel. Et d’y vivre quasiment à plein temps, dans une partie des communs un peu plus confortable que le reste du château, devenu partiellement inhabitable avec le temps. Un choix de vie plutôt austère ? « Pas le moins du monde, répond-il. Je ne suis jamais seul ici, il y a toujours quelqu’un qui passe, un artisan à voir… Croyez-moi, depuis que je m’occupe d’Esquelbecq, j’ai beaucoup plus de boulot qu’avant : il y a tellement à faire ici. C’est loin d’être une maison de campagne pour bronzer au soleil sur un transat. » Voilà qui change radicalement du milieu de l’art contemporain dans lequel Johan évoluait depuis son retour de New York, où il a fait ses études. Créateur d’un salon d’art contemporain à Paris (Slick Art Fair), restaurateur dans le Ier arrondissement, professionnel de la location d’espaces événementiels… Johan est un touche-à-tout, du genre à avoir mille idées à la seconde et une énergie folle à dépenser pour les concrétiser.
Avec lui, Esquelbecq a gagné un châtelain de son temps, hors norme, qui veut croire à ses rêves : c’est une chance inestimable pour ce lieu, et peut-être aussi pour cette région de la Flandre française si peu connue et dont Esquelbecq est l’un des plus beaux joyaux architecturaux. « Je suis un intuitif. J’ai toujours aimé développer de nouveaux projets, explique Johan. Mais si j’ai décidé de m’impliquer dans le devenir d’Esquelbecq, c’est aussi parce que j’y ai mes racines familiales, mes souvenirs d’enfance. Avec mes parents, nous venions chaque été ici. J’ai fait du vélo avec tous les jeunes du village. Avec ma soeur, décédée en 2005 et enterrée à Esquelbecq, nous aimions réfléchir à la manière dont nous pourrions ouvrir ce château pour y faire venir du public, y créer des événements. C’est cette histoire personnelle et familiale qui rend mon projet plus fort encore. »
L’un des premiers chantiers auxquels Johan s’est attelé a été la rénovation du jardin à compartiments, créé au début du XVIIe siècle et dont les limites n’ont guère varié depuis,
comme l’atteste une gravure d’Antoine Sanderus (1644). Il s’agirait du plus ancien jardin à la flamande subsistant en France. Il a été créé à l’initiative de Philippe Levasseur de Guernonval qui avait entrepris de restaurer le château d’Esquelbecq, légué par son oncle, Valentin de Pardieu. Gouverneur de Gravelines, ce dernier, après avoir fait campagne avec les armées de Charles Quint, était mort sans héritier direct. Durant deux cent vingt-cinq ans, Esquelbecq appartiendra aux Guernonval, jusqu’à ce que la Révolution française ne précipite leur ruine (en 1793, tout ce qui rappelait l’ordre ancien fut sauvagement saccagé par les révolutionnaires, y compris les armoiries incrustées dans les murs du château). « J’ai eu la chance de découvrir dans les archives, un peu par hasard, un rapport de 400 pages entièrement consacré au parc et au jardin d’Esquelbecq, commandé par la Drac à une paysagiste, Aline Le Coeur, qui avait entrepris d’en faire l’état des lieux et d’en reconstituer l’historique, raconte Johan. Ce document est devenu mon livre de chevet. J’y ai découvert toute la richesse des jardins à la flamande qui sont là non seulement en guise d’ornement, mais aussi pour subvenir aux besoins alimentaires des habitants. » En quelques mois, le jardin a retrouvé sa structure, les palissades et allées de fruitiers, soulignées de bordures de buis, ont repris fière allure tout comme le potager de la partie ouest, divisé en huit parcelles rectangulaires ; des dizaines de poiriers et de pommiers de variétés anciennes ont été replantés ou tout simplement taillés quand ils avaient survécu au manque de soins dont ils avaient souffert après tant d’années d’abandon. Une vraie renaissance ! Elle a valu aux propriétaires d’Esquelbecq de recevoir le prix Villandry. En 2017, pour la première fois depuis trente-trois ans, les →