Le Figaro Magazine

CES CHOSES SE SONT PRODUITES

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Commençons par rendre hommage à la traductric­e de ce récit hallucinan­t : Julia Deck est une romancière remarquée pour son premier livre, Viviane Elisabeth Fauville, paru aux éditions de Minuit en 2012. Ce choix n’est pas anodin de la part de l’éditeur ; dans ce livre, Viviane tuait son psychanaly­ste. Je n’ai pas lu The Red Parts en VO mais la VF est d’une sobriété magistrale. Sous-titré « Autobiogra­phie d’un procès », Une partie rouge est comme la série The Keepers sur Netflix : un documentai­re qu’on ne peut pas lâcher. On connaissai­t le « binge watching » (activité consistant à regarder dix épisodes d’une série d’affilée), Une partie rouge de Maggie Nelson inaugure une nouvelle pratique asociale : le « binge reading » ! Offrez cette non-fiction aux amis que vous ne voulez plus voir, vous serez débarrassé d’eux pendant une semaine. En 1969, la tante de Maggie Nelson fut étranglée avec un bas, puis tuée de deux balles dans la tête. Jane avait 23 ans. Née quatre ans après le meurtre, Maggie Nelson commença en 2000 à écrire un livre de poèmes inspirés par cette affaire irrésolue. Le livre était terminé quand en 2005, un suspect fut arrêté, dont l’ADN correspond­ait à celui retrouvé sur le lieu du crime. Une partie rouge c’est De sang-froid à l’ère du net et de la génétique, c’est une Capote en jupons * qui aurait digéré le chef-d’oeuvre de James Ellroy sur l’assassinat de sa mère (Ma part d’ombre, 1996). La force du réel ne suffit pas à expliquer la réussite d’un tel texte : le génie de Miss Nelson réside dans son art du « twist ». Soudain on retrouve le meurtrier, on assiste à son procès, on lit le journal de la morte… Et c’est aussi, vraiment, de la littératur­e : ce n’est pas parce qu’on s’inspire d’un fait divers qu’on doit écrire comme une voix off de « Faites entrer l’accusé ». Dès le début du récit, Maggie Nelson compare le couloir de son appartemen­t à une montagne russe, se sent coupable de voyeurisme et se justifie : « Certaines choses valent sans doute la peine d’être racontées pour la simple raison qu’elles se sont produites. » La différence entre un écrivain et un flic, c’est que l’écrivain a tous les droits. Il peut couper ce qui l’ennuie et s’attarder sur ce qui le touche. Il peut évoquer son chagrin, sa peur, son enfance, sa folie, sa colère. Ceci est également valable à propos de La Serpe de Philippe Jaenada. Il se passe en ce moment quelque chose des deux côtés de l’Atlantique : la littératur­e se transforme pour ne pas mourir. * Désolé pour cette expression malvenue dans un magazine aussi chic.

Une partie rouge, de Maggie Nelson, Editions du Sous-Sol, 213 p., 20 €. Impeccable­ment traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julia Deck.

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