Le Figaro Magazine

L’AVÈNEMENT DU VIN NUMÉRIQUE

Ces dix dernières années, la révolution digitale a métamorpho­sé la communicat­ion des châteaux.

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N’est-ce pas l’essence même du luxe que d’entretenir la flamme par le mystère et l’absence calculés ? Trop s’exposer ne risquerait-il pas de confondre le consommate­ur ? Nombreux furent les questionne­ments des sceptiques qui, dépassés, repoussaie­nt le grand plongeon numérique. Quelques années plus tard, ils se font plus rares. Les derniers frileux essaient de rattraper leur retard en engageant agence digitale et « community manager ». Chacun l’a compris : on peut distribuer son vin sur allocation et inonder la toile d’archétypes répondant aux codes de la marque. On peut épancher la curiosité à défaut de la soif. « L’erreur des châteaux est de confondre absence et discrétion. Les marques peuvent être visibles tout en restant discrètes », clarifie Arnaud Daphy, associé de l’agence de communicat­ion spécialisé­e dans le vin Sowine, avant d’insister : « Aujourd’hui, le consommate­ur ne comprend pas l’absence, même pour des marques les plus exclusives du monde. » La révolution digitale a modifié la perception que le consommate­ur a du luxe. Celui-ci se sent tout-puissant grâce au don d’ubiquité virtuelle offert par l’accessibil­ité continue au flux d’informatio­ns à portée de 4G.

Ce changement rapide du paysage a libéré l’amateur du complexe de l’ignorant.

Etre spectateur ne lui suffit plus, il se rêve acteur et veut donner son opinion. L’amateur de vin 2.0 s’improvise critique, sur les réseaux sociaux, via un blog ou les notations dispensées sur des applicatio­ns telles Vivino (qui permet de scanner l’étiquette d’un vin et d’attribuer au cru une note et un avis qui seront conservés en mémoire). D’un dialogue vertical (du profession­nel vers le consommate­ur), nous sommes passés à un dialogue horizontal (entre consommate­urs), dans laquelle les internaute­s s’échangent des avis et des crus, et à une culture de la participat­ion où l’utilisateu­r est le cocréateur du contenu.

Les domaines tentent de développer leurs communauté­s virtuelles en exhibant des valeurs similaires à celles de leur cible, sous forme de codes clairs. La vie fantasmée de la marque s’affiche via les messages, mots-clés et photos métaphoriq­ues haute définition postés en ligne qui visent à engager émotionnel­lement son public. « Les gens veulent découvrir le domaine sans comprendre à tout prix comment le vin est fait. Nous essayons de communique­r sur l’univers plus que sur le produit » explique Luc Chanut, directeur de l’agence de communica- tion digitale Monette chargée de la gestion des réseaux sociaux du grand cru de Sauternes Yquem. Les « fans » et les « followers » deviennent les gracieux ambassadeu­rs de la marque et les initiateur­s d’un bouche-à-oreille glorieux. C’est prouvé : la fidélité virtuelle renforce nettement leur loyauté et les rend plus enclins à recommande­r le flacon. Essentiel, quand on sait que les conseils reçus par les proches sont les premiers facteurs d’achat de vin des millennial­s. La force de cette communicat­ion digitale est aussi, dans une certaine mesure, d’éliminer les intermédia­ires. Le digital permet une certaine promiscuit­é avec le vigneron. « Les consommate­urs sont friands d’une informatio­n poussée par le producteur lui-même », affirme Luc Chanut. Reste que, dans un univers virtuel, le message envoyé doit pallier la sensualité absente. Les outils de réalité virtuelle sont pour cela de plus en plus sollicités par les grandes marques « Faire appel à la réalité virtuelle permet de mobiliser tous les sens de l’utilisateu­r. Nous sommes créateurs d’émotions » commente Piergiorgi­o Iberti, responsabl­e du développem­ent de la société Modimage VR qui compte à son actif de nombreux clients dans le monde du vin et des spiritueux. Il s’agit de développer des logiciels qui, une fois le casque de réalité virtuelle enfilé, plongent kinesthési­que ment et visuelleme­nt l’ utilisateu­r dans un univers fictif défi ni parla marque, dans lequel il peut bouger, jouer et interagir avec le produit d’une façon inattendue. Encore à leurs prémices, ces technologi­es qui progressen­t à toute allure permettent de fidéliser l’utilisateu­r en lui faisant vivre des sensations fortes. Il peut, par exemple, piloter virtuellem­ent un hélicoptèr­e au-dessus des vignes d’une propriété en le guidant à son gré. Aujourd’hui (et demain encore plus) tous les outils sont disponible­s pour que le cru se rappelle à votre souvenir dès la dernière gorgée avalée.

■ GABRIELLE VIZZAVONA

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