Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Depuis des millénaires, les hommes faisaient des cadeaux aux femmes qui offraient leur corps. Ainsi, le dressing de Mme Neandertal regorgeait-il de peaux de bête avant que les écolos mettent la fourrure à l’index plutôt que sur le dos. Beaucoup plus tard, s’ajoutèrent des robes de grands couturiers et de somptueux bijoux destinés autant à séduire des créatures qu’à enrichir des créateurs ne les aimant pas forcément. Et puis, comme Zorro, Weinstein est arrivé avec ses chevaux-vapeur et son grand chapeau lui tenant lieu d’habit de fête. Rien d’un séducteur, avec la boule presque à zéro, les joues rasées de beaucoup moins près qu’il ne serrait les starlettes, la bedaine soutenue par des mollets de coq. Sans doute, avait-il contracté ses vilaines habitudes en faisant travailler des beautés entraînées à dire « Je t’aime ! » à des partenaires qu’elles ne connaissaient pas une heure plus tôt et à leurs employeurs lorsqu’il y avait insistance sinon affinités. Tout allait pour le mieux dans le plus opulent des Studios. Son petit commerce consistait à réveiller les cochons qui somnolent dans les salles obscures. Mais le « Gros Porc », comme on le surnomme aujourd’hui, fut pris à son propre piège avant le premier tour de manivelle. Un vrai calvaire que ces entretiens d’embauche virant à la débauche. Chaque fois que Weinstein recevait une artiste ou assimilée, il tombait amoureux et son pantalon suivait le mouvement. La montée du désir engendrée par un nombre croissant de rendez-vous lui suggéra une seconde transgression. Jusque-là, il était communément admis que, durant les préliminaires à la formation d’un couple, la femme abandonna, la première, ses vêtements. Pour gagner quelques précieuses minutes, Weinstein imagina de recevoir tout nu ses visiteuses, que la rencontre eût lieu dans un bureau surchauffé ou au sortir de la douche dans une suite de palace. Avec l’espoir que cette petite mise en scène dépouillée qui avait permis à Hollande d’être élu président à la place de Dominique Strauss-Kahn lui vaudrait de bons moments. D’entrée de jeu, les actrices comprenaient que la spécialité du boss n’était pas le long-métrage. Tout autre, conscient de ne pas satisfaire aux canons de Vitruve, aurait caché sa gêne, voire sa honte, sous une cuirasse textile. Pas Weinstein. Si la nature l’avait raté, la vie l’avait fait réussir. Ce naturisme en milieu à la fois urbain et brutal reprendra des dimensions normales lorsque la justice passera à la loupe les turpitudes du septième art. Une trentaine de beautés – sans compter celles auxquelles la mémoire va revenir et qui argueront d’un viol à défaut d’un oscar – durent affronter cette nudité agressive. Encore heureux que de ces étreintes furtives et peu consenties, aucun enfant ne soit né, porteur d’une hérédité annonciatrice des pires problèmes. Pourtant, les dégâts sociaux sont immenses. Les peuplades les plus reculées ont été informées du scandale, sauf celles qu’on nomme sauvages parce qu’elles ne soignent pas davantage leur mise que Weinstein. On peut redouter qu’à l’avenir et jusqu’à la fin des temps, les rapports entre les deux principaux sexes deviennent plus compliqués même s’ils sont parfois moins tendus. Logiquement, ça devrait être la fin des tête-àtête et de la main dans la main, le renoncement à toutes propositions de dîner aux chandelles ou de week-end à la campagne. Et sans doute le début d’un apartheid sexuel. Déjà, à Londres, les femmes bénéficient de taxis roses où elles sont assurées de demeurer seules ou entre elles. On peut prévoir que des rames de métro ou des TGV seront réservés à l’éternel féminin et interdits d’accès au sempiternel masculin. Les établissements de spectacle, les restaurants et les boutiquiers de tout poil suivront l’exemple. Une femme pourra faire ses courses et se déplacer à l’abri des goujats, des mufles et des machos. Souhaitera-t-elle être mère sans avoir à supporter un père ? Les législateurs et les scientifiques mettront à sa disposition une procréation médicale assistée lui épargnant le plaisir annihilant le sens critique et les mauvaises fréquentations inséparables de la drague. Partout, la morale et la prudence triompheront. Avant de louer une chambre à un couple, les hôteliers demanderont par trois fois solennellement à une dame si elle est d’accord pour passer la nuit en compagnie d’un monsieur avec lequel elle n’est ni fiancée, ni pacsée, ni mariée. De sa clinique arizonienne de désintoxication où l’avait précédé Michael Douglas, Harvey Weinstein pourra prodiguer des conseils de modération et de tempérance. Peut-être pour se refaire une santé financière, vendra-t-il des « vêtements de haute moralité » électroniquement verrouillés et refusant de se déboutonner devant le premier décolleté venu. Après quoi, désireux de se racheter publiquement, l’Ogre de Hollywood proposera le mariage à toutes les comédiennes auxquelles il a manqué de respect. En commençant par la doyenne dont il sollicita les faveurs en 1984 et qui doit être aujourd’hui beaucoup plus âgée et infiniment moins désirable. Imaginez qu’il soit contraint de mener à l’autel au son des grandes orgues médiatiques une petite retraitée n’ayant d’autre fortune que sa carte Vermeil. Quelle punition !
Du naturisme en milieu à la fois urbain et brutal