Le Figaro Magazine

QUAND LE ROMANCIER FAIT LES POCHES DE L’HISTOIRE

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Prix Goncourt, un récit historique ; prix Renaudot, un roman historique. Le premier sur l’invasion de l’Autriche par Hitler (1), le second sur l’évasion de l’un des pires criminels hitlériens (2). Ce n’est plus du roman historique à la Dumas ou à la Féval, mais de l’enquête solide, minutieuse, avec les vrais noms, dates, sources et citations. Bref, de l’Histoire. Vuillard ne le cache pas, il « fait les poches de l’Histoire » pour y puiser sa matière et ses personnage­s. Ainsi, moins on enseigne l’Histoire, plus elle fait recette, et pas seulement dans la littératur­e des grands prix, elle occupe la scène partout, dans les médias, sur les écrans, dans l’espace public. A la veille de la rentrée littéraire, Emmanuel Macron disait : « Nous sommes en train de payer le prix de cette bêtise collective de croire en la fin de l’Histoire. » Au propre comme au figuré, la fin de l’Histoire n’est pas pour demain ! Et si tout le monde s’en empare, ce n’est pas celle que les directives du Conseil supérieur des programmes ont imposée au fil des préjugés du moment et des lois mémorielle­s, mais la bonne vieille histoire des personnage­s et des caractères. « Notre pays ne propose en effet plus de héros », regrettait le président de la République dans le même entretien. On a cru tuer les héros. Parce que c’était le passé, « Aux grands hommes, la patrie reconnaiss­ante », tous classés à la rubrique des antimodern­es. Ils reviennent au galop, habillés par les cuirasses de l’honneur ou les oripeaux de la barbarie. En rouvrant les placards de l’Histoire, les écrivains dénichent en elle plus de romanesque que tout ce que l’imaginatio­n du monde aurait pu leur fournir. Ils n’ont plus qu’à se « glisser dans la peau » de leurs personnage­s, monstres ou modèles.

« L’Histoire est un spectacle », dit Vuillard, notre Goncourt. Dans son essai La Compagnie des ombres (Les Belles lettres), le directeur du Figaro Histoire, Michel De Jaeghere, rappelle à quel point l’Histoire « sait mettre en scène la danse macabre de la vérité et du mensonge, de la lâcheté et du courage ». Même macabre, c’est toujours une danse. L’Histoire n’est jamais un passé enterré mais l’école de la vie. Parce que les peuples ne sont pas des idées générales.

(1) L’Ordre du jour, d’Eric Vuillard, Actes Sud, 154 p., 16 €. (2) La Disparitio­n de Josef Mengele, d’Olivier Guez, Grasset, 240 p., 18,50 €.

Moins on enseigne l’Histoire, plus elle fait recette

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