Le Figaro Magazine

ÉDOUARD PHILIPPE CHERCHE SA PLACE

Exclu des LR mais ne souhaitant pas adhérer, « pour le moment » à la République en marche, le Premier ministre se sent « à l’aise avec cette majorité ». Il reçoit régulièrem­ent les élus à Matignon et, « quand il le peut », va voir les militants lors de se

- PAR CARL MEEUS

Je n’ai jamais vu d’ambition présidenti­elle chez Edouard Philippe. » Cet ami du Premier ministre détient peut-être la clé de compréhens­ion d’une situation originale qui voit le locataire de Matignon ne s’appuyer politiquem­ent sur aucune troupe pour tenter d’exister face au président de la République. Pour ce proche, il faut se mettre à la place d’Edouard Philippe : « Même dans ses rêves les plus fous, il n’imaginait pas être Premier ministre. Si Alain Juppé avait gagné la primaire puis la présidenti­elle, il aurait été tout au plus ministre. Avec François Fillon à l’Elysée, c’était les mines de sel. » Dit autrement, on comprend que l’ancien maire du Havre soit heureux dans son job et compte en profiter sans se projeter tout de suite dans une autre fonction. Au fond, le système politique français retrouve, avec Edouard Philippe à Matignon, une configurat­ion qu’il n’a pas connu depuis longtemps. Avoir en ce lieu un locataire qui ne pense pas tous les jours en se rasant à l’étape suivante de sa carrière : entrer à l’Elysée. Manuel Valls, François Fillon, Lionel Jospin, Edouard Balladur, Jacques Chirac, autant de Premiers ministres qui ne cachaient pas leur ambition présidenti­elle. Edouard Philippe est davantage dans la lignée des Michel Debré ou Raymond Barre. Nommé en 1976, ce dernier, professeur d’économie, n’appartenai­t d’ailleurs à aucun parti à son arrivée Rue de Varenne. A Matignon, on préfère évoquer le duo de Gaulle-Debré. « Il ne doit jamais oublier les circonstan­ces de sa nomination, explique l’un de ses conseiller­s. Il est là par la décision d’un homme. Le pacte Président-Premier ministre doit être indissolub­le le plus longtemps possible. Je n’ai pas de souci à dire que c’est son subordonné. »

La philosophi­e d’Edouard Philippe est donc totalement antinomiqu­e de celle d’un Jacques Chirac disant à Valéry Giscard d’Estaing, qui s’apprête à le nommer en 1974 : « Avez-vous songé qu’un jour vous pourriez regretter cette décision ? » « Il est à l’aise avec la conception d’Emmanuel Macron du rôle du Premier ministre, estime un élu. Je ne le vois pas faire un truc à la Chirac pour devenir le chef de la droite modérée. » Claquer la porte de Matignon ou chercher à construire une force politique sur laquelle s’appuyer pour exister politiquem­ent ne serait pas dans la tête du Premier ministre. Dans cette logique, Edouard Philippe ne pousse donc pas à la constituti­on d’un parti des Constructi­fs, ces élus →

→ Républicai­ns qui ont créé leur groupe à l’Assemblée nationale avec les centristes de l’UDI. « Edouard Philippe n’est pas l’animateur des Constructi­fs, plaide l’un de ses conseiller­s, même si le chef du gouverneme­nt discute beaucoup avec Thierry Solère, le questeur de l’Assemblée. C’est aux Constructi­fs de clarifier leur situation et de passer dans la majorité. »

Un Premier ministre qui se retrouve dans une situation inédite, qu’il assume : « Tout ce qui est fait est sans précédents sous la Ve. » Ses amis sont membres d’un groupe à l’Assemblée qui se dit officielle­ment dans l’opposition ! Lui est le chef d’une majorité dont il ne connaissai­t pas les membres quand il a pris ses fonctions. Il dirige un gouverneme­nt dont la plupart des ministres doivent leur nomination à Emmanuel Macron davantage qu’à lui. Les principale­s décisions sont prises à l’Elysée (lire page 46). Et pourtant, ça fonctionne. Du moins si l’on en croit les témoignage­s de ceux qui travaillen­t avec lui. « Les députés ne voient jamais Macron, décrypte Thierry Solère, élu des Constructi­fs. Du coup, Edouard Philippe est perçu comme la continuité du Président, le metteur en scène de sa politique. Et il est très soutenu par eux. » D’ailleurs, Edouard Philippe reçoit les élus à Matignon. Et, « dès qu’il le peut », il rencontre les militants LREM ou MoDem lors de ses déplacemen­ts en province. « C’est un excellent chef d’équipe, estime une ministre. Il aime ce qu’il fait. Il est attentionn­é, toujours à l’écoute et tient compte de ce qu’on dit. » « Il a imposé un style qu’on n’a pas vu dans cette fonction, ajoute un élu MoDem. Un mélange d’autorité, de calme, de pédagogie et de respect des gens. » Des qualités vantées par Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot : « C’est un excellent chef d’orchestre. Il n’a jamais besoin de dire “le chef, c’est moi”. »

Edouard Philippe a d’ailleurs la chance de se retrouver dans une configurat­ion relativeme­nt inédite, décrite par un de ses proches : « Aucun membre du gouverneme­nt n’a d’agenda personnel. Aucun ne se dit “je vais me présenter en 2022” ! » Une caractéris­tique apaisante qui change tout pour le chef du gouverneme­nt. Il suffit de demander à Jean-Pierre Raffarin ou à Jean-Marc Ayrault l’énergie dépensée à tenter de contenir les ambitions de Nicolas Sarkozy et de Manuel Valls ! Autre facteur d’apaisement : « Les ministres techniques ne lorgnent pas sur le portefeuil­le du voisin. » A Matignon, on sait qu’Edouard Philippe sera jugé sur trois critères : sa capacité à mettre en oeuvre le projet du Président, à animer la majorité et l’équipe gouverneme­ntale. C’est la raison pour laquelle il ne met rien en place pour tenter d’exister en dehors de ces critères. Et qu’il peut dire encore aujourd’hui ce qu’il expliquait en septembre dernier : « Je me sens très à l’aise avec cette majorité. Il y a une relation de confiance et d’exigence avec le groupe LREM. Et la relation avec le président de la République est d’une immense fluidité. Nous avons une lecture commune et nominale des institutio­ns de la Ve. Il est la clé de voûte, j’arbitre et je mets en oeuvre les décisions. »

Edouard Philippe a retenu les leçons de Jacques Pilhan, qui conseillai­t à Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand d’être « le génie des carpettes » et de ne dire que du bien du Président. Ce faisant, il oublie une des missions confiées par Emmanuel Macron : faire exploser Les Républicai­ns, comme lui a su le faire avec le PS à la présidenti­elle. Mais, là où le PS a totalement explosé, Les Républicai­ns ont su résister en revenant avec une centaine de députés à l’Assemblée en juin et en conservant la présidence du Sénat en septembre. Les prises de guerre Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, ont considérab­lement affaibli la droite, mais sans la diviser suffisamme­nt. Ce sera peut-être la prochaine étape si, comme il l’a laissé entendre dimanche dernier, Alain Juppé, dont Edouard Philippe est resté proche, continue de prôner la constituti­on d’un « grand mouvement central » pour les élections européenne­s. Une clarificat­ion qui achèverait la recomposit­ion politique et renforcera­it le Premier ministre, qui ferait figure de précurseur, même si Laurent Wauquiez n’y voit qu’une suite logique : « J’ai toujours considéré qu’Edouard Philippe était de gauche. Il a toujours essayé d’emmener Alain Juppé sur ce terrain. » ■ C. M.

“JE ME SENS TRÈS À L’AISE AVEC CETTE MAJORITÉ”

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« Edouard Philippe est à l’aise dans la conception d’Emmanuel Macron du rôle du Premier ministre. « Je ne le vois pas faire un truc à la Chirac pour devenir le chef de la droite modérée », estime un élu.
 ??  ?? Moment de complicité visible et affichée entre Edouard Philippe et Alain Juppé quand les deux hommes se sont vus à Bordeaux, il y a quelques semaines.
Moment de complicité visible et affichée entre Edouard Philippe et Alain Juppé quand les deux hommes se sont vus à Bordeaux, il y a quelques semaines.

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