PARIS-MOSCOU, ALLER-RETOUR DANS LES PAS DU GÉNÉRAL
★★★★ DE GAULLE ET LA RUSSIE, d’Hélène Carrère d’Encausse, Fayard, 288 p., 20 €.
Même dans ce domaine-là, le général de Gaulle aura été visionnaire. Sous Staline, comme sous Khrouchtchev ou sous Brejnev (trois dirigeants soviétiques qu’il connut et avec qui il négocia), l’URSS, selon lui, restait avant tout la Russie. La nation russe. Avec son identité, qui la conduirait un jour à rejeter l’alliance avec l’Allemagne nazie, à dialoguer avec l’Amérique, à faire de la place aux petites nations (y compris celles dans sa sphère d’influence)… et à se débarrasser de la gangue communiste éphémère l’enfermant depuis 1917. Il en fallait, du souffle, du culot et de l’arrogance, rappelle à juste titre Hélène Carrère d’Encausse, pour nager ainsi à contre-courant de la doxa géopolitique des années 1950-1960. L’Histoire a pourtant donné raison à de Gaulle et c’est pour le rappeler que l’Académicienne publie cet essai riche en coups de projecteurs inédits sur les liens entre le Général et Moscou entre 1944 et 1969. Des coulisses des grands sommets à Paris ou en Russie aux avis et réflexions méconnus des entourages des chefs d’Etat en passant par le récit saisissant des crises diplomatiques de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, la biographe inspirée des tsars et de Lénine dépeint, avec un bel art de la mise en scène, un quart de siècle de rapports franco-russes. Sans jamais oublier de souligner, foin de toute naïveté hagiographique, combien la démarche de De Gaulle correspondait aussi (d’abord ?) à son obsession de donner à la France le rang qu’elle méritait à ses yeux (et que les alliés anglo-saxons semblaient parfois négliger…). Quitte à pactiser avec le diable rouge.