Général Pierre de Villiers : « Nous ne sommes pas dans la comédie humaine, nous tirons à balles réelles »
A la suite d’un grave désaccord avec le président de la République sur la question budgétaire, il avait démissionné de son poste de chef d’état-major des armées, provoquant la première crise du quinquennat Macron. Dans Servir (Fayard), Pierre de Villiers
« Poète revendicatif », c’est ainsi que l’avait qualifié Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, après sa démission fracassante du poste de chef d’état-major des armées cet été. S’il aime citer Vigny (« L’honneur, c’est la poésie du devoir »),
PierredeVilliersnerevendiquerien.CeluiquiaofficiéauKosovo et en Afghanistan apparaît comme un serviteur de l’Etat d’une extraordinaire humilité. Le 17 juillet 2017, deux jours avant d’annoncer sa décision au président de la République, il a rangé son casoar, ces plumes blanches et rouges comme le sang, dans saboîte.Commeleveutlatradition,cesymbolesaint-cyrienlui avait été remis quarante ans plus tôt, à son entrée dans la célèbre école militaire. Il le gardait précieusement sur son bureau. « Quel gâchis d’en être arrivés là, alors que nous aurions pu faire autrement ! », se dit-il. Pour autant, il n’en conçoit aucune amertume. Son livre n’est pas un règlement de comptes. « Trop jeune pour écrire [ses] Mémoires », il veut se tourner vers l’avant. Alors que la situation géopolitique mondiale est plus complexe et tendue que jamais, que la menace islamiste continue de peser surnotrepays,ilsouhaitemontrerquelaFranceaencoreunrôle à jouer. A condition de savoir conserver et rénover notre modèle d’armée avant qu’il ne soit trop tard.
Au début du livre, vous expliquez que vos relations avec le président Macron ont toujours été des relations de confiance. Pourquoi avoir démissionné ?
J’ai toujours veillé à la notion de franchise et de vérité que tout subordonné doit à son chef. Le vrai courage, c’est de lui dire la vérité. Le 19 juillet, deux raisons m’ont conduit à démissionner. La première : une divergence de fond sur les arbitrages budgétaires en ce qui concerne l’effort de défense en 2017 et 2018. L’annulation de crédits de 850 millions d’euros a des conséquences immédiates sur la vie des soldats, en termes d’équipement notamment. J’ai alors considéré en responsabilité ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je croyais pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain. La deuxième raison tient aux propos tenus par le président de la République le 13 juillet à l’hôtel de Brienne, qui ont dégradé le lien de confiance qui doit unir le président de la République et le chef d’état-major des armées. Lien qui est fondamental compte tenu de la période que nous vivons, alors que nous sommes sous pression double avec le retour des Etats puissances et le terrorisme islamiste qui nous a frappés sur notre sol et que nous combattons en « défense de l’avant » à l’extérieur. Pourtant, je n’ai pas écrit ce livre en réaction à ma démission.
Je le porte dans mes tripes depuis longtemps. Je l’aurais écrit si j’étais parti à l’été 2018 comme prévu, suite à ma prolongation en juin dernier. J’estime qu’à l’aune de mon expérience – sept ans et demi à la tête des armées, dont quatre ans comme numéro deux et trois ans et demi comme numéro un -, j’ai une expérience et une vision à faire valoir. La problématique budgétaire est fondamentale, mais il s’agit d’un livre qui la dépasse : c’est un livre de stratégie tourné vers l’avenir. Je n’ai pas encore l’âge d’écrire mes Mémoires. Revenons à la question budgétaire. Vous écrivez que depuis 2007 et la révision générale des politiques publiques, l’armée a tout donné… Le costume est au plus juste, nous sommes à l’os. Pour vous donner quelques chiffres, nous avons perdu en effectifs 40 000 militaires entre 2008 et 2014. Sur cette même période, nous avons supprimé 50 formations de l’armée de terre, 17 bases aériennes et désarmé 20 bateaux. Bien sûr, il y a des chantiers à terminer, à repenser : la coopération européenne, l’amélioration du système d’acquisition de nos équipements, aller plus loin en termes d’externalisation. Mais il est difficile d’imaginer qu’il soit possible de faire des gains substantiels, par la rationalisation et la transformation, au-delà de ce que nous sommes en train d’effectuer. L’Allemagne va passer de 1,2 à 1,5 % du PIB en quatre ans. Demain, nous serons peutêtre derrière l’Allemagne (qui n’a pas le même PIB que nous) en termes de budget. Cela donne à réfléchir. Quand on fait des efforts, il faut qu’il y ait un retour sur efficacité. Nous avons le sentiment que les armées se sont transformées en profondeur et de manière exemplaire depuis vingt ans, alors que les menaces n’ont cessé d’augmenter. C’est cet effet ciseaux qui a conduit à ma divergence avec le président de la République sur les budgets 2017 et 2018. →