Le théâtre de Philippe Tesson
UUne écriture incisive, impeccable
n thème classique : la soirée qui dégénère. On est dans la bourgeoisie moyenne. Deux couples se rencontrent accidentellement. C’est le cas de le dire, cela se passe dans un parking, et le lever de rideau est très cocasse. Ils décident de dîner ensemble pour fêter l’anniversaire de la mère de l’un des hommes, une vieille dame gâteuse qui sera l’élément comique du spectacle (savoureuse Josiane Stoléru). Pour le reste : désespoir ! Les quatre personnages n’ont rien en commun, rien à se dire : les deux hommes sont banals, les deux femmes à demi hystériques, l’une dans l’aigreur, l’autre dans la provocation. Tout peu à peu va se dégrader, se disloquer. La conversation et la situation vont nous entraîner pire que dans la vacuité, pire que dans un malaise, mais au-delà d’une espèce de haine sournoise, dans un univers absurde où chacun ne parlera que pour lui-même, n’écoutant que ses propres obsessions, comme dans une sorte d’autisme, pour délivrer ses propres sentiments, ressentiments, refoulements. Aucun ne parviendra à faire bonne figure, jusqu’à ce qu’à la fin tout rentre dans l’ordre, la médiocrité des conventions succédant à celle des défoulements.
C’est assez tragique, mais c’est réussi. Parce que c’est Yasmina Reza ! Et tout ce qui fait Reza, et l’efficacité de son théâtre. D’abord son regard sur la société des hommes, cet oeil au laser, impitoyable, fouilleur, écorcheur, auquel seule l’ironie apporte un peu d’indulgence. Son écriture, ensuite : incisive, impeccable, pas un mot de trop. Ses dialogues, cet art de la réplique au ping-pong, ponctuée de silences, d’ellipses, de sous-entendus. La clarté du sous-texte sous la netteté du texte. Un vrai style. On ne regrette qu’une chose, c’est la démesure de l’espace scénique lorsqu’on est sorti du parking ! Cet immense restaurant nuit à la parole. Ce dialogue féroce et rapide vaut davantage d’intimité. De même ces longs changements à vue nuisent-ils au rythme du spectacle. Quelle superbe interprétation en revanche. Emmanuelle Devos n’a jamais été aussi admirable d’élégance, d’humour, d’assurance, ni Micha Lescot d’aisance et de drôlerie. Camille Japy et Louis Do de Lencquesaing sont parfaits et le décor de Jacques Gabel épatant. Au même moment, au Rond-Point, dans la salle Jean-Tardieu, JeanMichel Ribes s’amuse à recomposer son propre univers par le truchement de deux merveilleux clowns célestes, Romain Cottard et Damien Zanoly. C’est du Ribes, c’est du rêve. Une folie douce, une folie poétique, moins légère et plus tendre qu’il n’y paraît, un rien destructrice et un rien désenchantée, mais joyeuse. Cela s’appelle Sulki et Sulku. Bella figura, écrit et mis en scène par Yasmina Reza. Avec Josiane Stoléru, Emmanuelle Devos… Théâtre du Rond-Point (01.44.95.98.21).