La page d’histoire de Jean Sévillia
Leur couple, un des plus célèbres de l’histoire, est plébiscité par les foules qui scrutent leurs portraits dans les palais de Vienne et de Budapest. Beaucoup d’idées fausses courent sur eux, entretenues par l’inusable série des Sissi où Romy Schneider avait donné son visage à l’impératrice Elisabeth d’Autriche. En vérité, François-Joseph et son épouse constituaient un ménage singulier, à la fois profondément uni et non moins profondément désuni. Jean des Cars, qui a évoqué leur destinée dans plusieurs ouvrages, revient sur le sujet dans une biographie croisée où il se penche moins sur la dimension publique des deux personnages qu’il n’explore, s’appuyant sur des sources nouvelles, la complexité de leur relation.
A 23 ans, François-Joseph, encore célibataire, était tombé éperdument amoureux d’Elisabeth, princesse bavaroise de 15 ans qui aspirait à autre chose que s’enfermer à la cour d’Autriche. En apprenant son intention de l’épouser, elle s’était exclamée : « Si je l’aime ? Bien sûr, comment ne l’aimerais-je pas ! Mais si seulement il n’était pas empereur… »
Devenue impératrice, Elisabeth était tenue à des obligations liées à son rang, rang qui comportait des avantages. Or, elle prendra les avantages mais cherchera à échapper aux obligations. Ce n’est que par épisodes qu’elle s’intéressera à ses enfants, et par intermittence qu’elle exercera sa fonction, servant au moins les desseins de son mari en réconciliant la Hongrie avec la dynastie. Egocentrique et dépressive, hantée par la mort qui rôdait autour d’elle (sa fille Sophie, son beau-frère Maximilien, son cousin Louis II, son fils Rodolphe), elle fuyait Vienne lors d’interminables voyages, obsédée par sa beauté et sa ligne, mais sans cesser de respecter celui qu’elle délaissait. François-Joseph, enchaîné pendant ce temps à son trône et à sa table de travail, attendait sa femme, amoureux jusqu’au bout, même s’il cherchait des compensations ailleurs. En 1898, le comte Paar, venu prévenir le monarque de l’assassinat de l’impératrice à Genève, l’entendra murmurer : « Nul ne saura combien nous nous sommes aimés. »
On aimera ce beau livre (sans partager l’indulgence de l’auteur pour Sissi, cette autre Lady Di) : il raconte l’amour fou d’un homme de devoir. François-Joseph et Sissi. Le devoir et la rébellion, de Jean des Cars, Perrin, 544 p., 25 €.