Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Si je n’ai jamais parlé avec les morts en faisant tourner les tables, j’ai souvent tenté d’arracher aux vivants des propos intelligents par l’entremise de la table basse du salon à l’issue des dîners en ville. Le supplice démarre à l’instant où, tout en se demandant si l’on digérera le cassoulet de l’hôtesse, on ambitionne de refaire un monde au milieu duquel on se sent de plus en plus isolé. Mais on capte mieux l’attention des convives lorsqu’on adopte la position dite du brillant causeur, c’est-à-dire dos à la cheminée.
Pour rompre le silence, un seul mot suffit : Macron. Commencez par un Macron intime en comparant son physique agréable avec celui moins séduisant d’Edouard Philippe. Insinuez que, si le Président a choisi le Havrais comme Premier ministre, c’est en raison de son début de calvitie et de ses oreilles décollées interdisant toute concurrence charismatique. D’Emmanuel passez ensuite à Brigitte en remarquant que son passage en khâgne n’a pas altéré la beauté de ses genoux. Evoquez comme s’il s’agissait d’un secret d’Etat la discrétion du premier mari de l’actuelle First Lady et supposez que lorsqu’elle invite le dimanche ses sept petits-enfants à déjeuner elle rembourse à l’économe de l’Elysée la dépense supplémentaire comme le faisait Yvonne de Gaulle.
Mettez en doute les informations officielles et authentifiez les pires ragots. Par exemple que Marine Le Pen a dîné en compagnie de Penelope Fillon et que DSK a pris la présidence du conseil d’administration du Carlton de Lille. S’agissant des harceleurs de tout poil, ne reculez pas devant une philosophie de comptoir. Dites : « De quelque façon qu’on s’y prenne, le sexe fait toujours descendre de plusieurs centimètres le niveau des relations humaines. » Ne craignez pas de venir au secours de Roman Polanski et de Dustin Hoffman : « A quoi ça sert d’être une vedette si les femmes vous refusent leurs faveurs ? » Si l’assistance somnole, bifurquez sur la diminution des décorations souhaitée par celui qui les accorde. Puis interpellez le chevalier dont vous avez fêté le ruban l’année dernière : « Pensez-vous que vos mérites vous vaudront un jour la rosette ou le canapé ? » Saluez au passage les contemporains connus qui ont refusé une nomination flatteuse. Non sans murmurer qu’on satisfait parfois davantage son désir de singularité en refusant un honneur plutôt qu’en l’acceptant. Mentionnez le vieil ami de votre père qui plaçait modestement ce qu’il nommait sa « batterie de cuisine » sous le revers de son veston mais qui marchait toujours le col relevé. Si un assistant regarde sa montre, appelez Donald Trump à la rescousse. Retracez son passé mercantile symbolisé par une tour de 58 étages et imaginez son avenir psychiatrique depuis qu’il a lui-même reconnu que les Américains avaient un problème de santé mentale. Citez de mémoire le prénom de ses anciennes épouses et le montant des indemnités qu’il leur a versé en échange de ses 107 kilos. Prédisez que la destitution lui tombera dessus avant que, comme Richard Nixon, il ait eu le temps de démissionner. Dans la foulée, réinstallez Hillary Clinton à la Maison-Blanche en affirmant que son premier cocktail sera pour remonter le moral des prédateurs sexuels financiers de sa campagne électorale. Rendez hommage à la Queen et à son bel officier de marine encore présentable à 96 ans. Brodez sur la fidélité d’Elisabeth et la discrétion de Philip dont les incartades facilitées par les escales de la Royal Navy n’ont jamais été médiatisées. Enchaînez sur Charles et Camilla que remplaceront très vite William et Kate pour le plus grand profit des parents Middleton dont l’album de famille est constitué par des tasses de petit-déjeuner. A propos de l’Europe, marmonnez que vous auriez préféré la construire avec les Anglais qui nous ont sauvés du nazisme plutôt qu’avec l’Allemagne qui nous l’a imposé pendant près de cinq ans. N’oubliez pas la culture. Louez le goût très sûr des 2 000 lycéens mobilisés par la Fnac qui drainent désormais deux fois plus de lecteurs que le choix des 10 académiciens rincés par Drouant. Révélez que vous ne lisez plus de roman car votre vie personnelle est plus passionnante que le récit de toutes les existences imaginaires. Côté théâtre, contentez-vous de citer le titre de pièces qui n’ont pas trouvé leur public et soulignez que sans Feydeau et Cyrano, opportunément tombés dans le domaine public, de nombreux directeurs feraient la manche devant leur établissement. Passez enfin à la télé en l’annonçant plaisamment comme beaucoup plus « giboyeuse ». N’ayez pas peur de mettre en parallèle les jolies jambes d’Anne-Sophie Lapix et les mollets sans doute poilus de David Pujadas. Louez l’efficacité de BFMTV qui envoie des reporters même là où il ne se passe rien. Pendant que les invités cherchent fébrilement leur vestiaire sur le lit des invitants, réjouissez-vous que Claire Chazal ait recruté un auxiliaire familial qui, cet été, lui tendra son maillot de bain avant qu’elle pose pour un magazine en couleurs.
A quoi ça sert d’être une vedette si les femmes vous refusent leurs faveurs ?