Vercors : l’appel de la montagne,
Posé à l’écart de la chaîne des Alpes, ce massif cultive fièrement sa singularité. A la fois rude et bon enfant, il a la capacité de faire venir à lui toutes sortes d’amoureux de la montagne : familles, freeriders, passionnés de ski de fond… Promenade au coeur d’un pays de liberté.
Il est bien loin, le temps où le Vercors était une forteresse. Seuls le sabot des mules et le jarret des montagnards permettaient alors de se faufiler entre ses gorges, de monter à l’assaut de ses falaises afin de le relier au reste du monde. A l’époque, le massif était une île véritablement à part. Un authentique vaisseau de calcaire posé à l’écart des Alpes, émergeant aux confins orientaux de la plaine de Valence, entouré comme des douves par les trois rivières tumultueuses qui le ceinturent : le Drac, l’Isère, la Drôme. Cette période est révolue 190 ans pour être précis, quand le tracé de la première route, désormais dénommée D531, fut enfin achevé. Elle relie toujours Sassenage à Villard-de-Lans, la plus grosse commune du Vercors.
Aujourd’hui, la forteresse est habitée par des banlieusards nouvelle génération qui, au volant de leur confortable voiture climatisée, se rendent tous les jours dans leur bureau de Grenoble. C’est pourquoi le touriste, ignorant bien qu’abreuvé d’informations passées à la moulinette de Google, se figure, en débarquant à la gare TGV de Grenoble, qu’en rejoignant le Vercors, il va simplement se rendre dans un faubourg parmi d’autres de la capitale de l’Isère. Un faubourg certes cerné par les montagnes, la neige et les forêts, mais, pourquoi pas ?
Quand la voiture, quittant la cuvette grenobloise, s’élance sur les premiers lacets accrochés aux flancs de la montagne, il apparaît vite que, malgré internet, les réseaux 4G, les routes bien asphaltées et les voitures climatisées, le génie humain n’a pas réussi à abolir la particularité de ce pays farouchement dressé au-dessus des vallées. Cela tient d’abord à des impressions. Les arbres massés au bord de la route, un oiseau qui passe en silence, la neige qui crisse sous les semelles trop fines des chaussures de ville, l’air sec, le froid.
Voici le Vercors qui accueille, calme et sauvage, le nouveau visiteur. Ici, rien n’est vraiment comme ailleurs. Dans ce massif tout en gouffres, en ruptures et en falaises, il ne faudra pas chercher d’unité. Chaque vallée et chaque village accroché à un pan de la montagne forme un petit pays, isolé des autres par l’absence de route mais aussi par les différences géographiques et culturelles qui font que le
VALLÉES LES SONT LARGES, ENSOLEILLÉES, LUMINEUSES
Vercors est aussi traversé par une frontière entre le nordest, plutôt alpin, et le sud-ouest, déjà presque provençal. Le massif, qui ressemble à une table dont deux pieds auraient été coupés, culmine sur sa frange orientale par une crête de 50 kilomètres où plusieurs sommets dépassent 2 000 mètres d’altitude. Le Grand Veymont, plus haute montagne du Vercors, atteint 2 341 mètres, mais c’est un peu plus au nord, dans la région dite des Quatre Montagnes, que se trouve le terrain qui nous intéresse ici.
Nous ne sommes pas dans les Alpes : les vallées sont plus larges, moins profondes, plus ensoleillées, lumineuses. Mais, sur les flancs des montagnes, les falaises et les lourds rochers gris parsemés de pins à crochets confèrent à ce pays des allures de Rocheuses. Le vent du Grand Ouest américain souffle sur le Vercors : ce pays est ainsi à la fois bonhomme et farouche, rural et montagnard, et c’est pourquoi il devient, l’hiver venu, un magnifique endroit pour passer des vacances : ici, il y en a pour tous les goûts, tous les âges et tous les niveaux.
A commencer par le ski nordique,
dont le massif constitue toujours un inexpugnable bastion. Les deux villages d’Autrans et de Méaudre ont uni leurs forces pour proposer aux amateurs de ski de fond, que ce soit en version classique ou skating, un itinéraire d’exception. En tout, 180 kilomètres de pistes serpentant dans les bois, traversant les plateaux. Celui de Gève est très apprécié. Le climat qui y règne – particulièrement froid - lui donne un air de Grand Nord canadien. C’est là que les sportifs professionnels accueillis par la station viennent s’entraîner. Il n’est pas rare d’y croiser Simon Fourcade ou Marie Dorin-Habert, en tenue, s’exerçant au biathlon, ce sport qui marie ski de fond et tir de précision. Contrairement aux apparences, cette discipline n’est d’ailleurs pas réservée exclusivement aux champions du monde ni aux médaillés d’or des Jeux olympiques. L’Ecole du ski français d’Autrans propose ainsi des séances d’initiation où, skis aux pieds, le premier venu peut s’initier à la technique du skating avant de s’emparer d’une carabine 22 long rifle avec laquelle, le souffle long, concentré, il tentera de percuter le disque d’acier situé à 50 mètres de là. Ce n’est pas aussi difficile que ça en a l’air, c’est même assez amusant !
La région ne doit pas sa réputation de haut lieu du ski nordique au hasard. C’est là qu’est organisée une des courses de ski de fond les plus exigeantes et les plus réputées du circuit : La Foulée blanche, qui célébrera cette année son 40e anniversaire. En 2017, faute de neige, la 39e édition a dû être annulée. Ce qui n’empêche pas Wilfried Valette, le directeur technique de l’épreuve, de se féliciter, devant un grand bol de chocolat chaud, du succès rencontré depuis quatre décennies par cet événement. « La Foulée blanche, explique-t-il, est un rassemblement festif autour du ski nordique. Nous nous adressons aux sportifs de haut niveau mais pas seulement, car le ski de fond a perdu son image d’activité pépère au fond des bois : il rassemble désormais →
→ beaucoup d’amateurs. C’est devenu un sport plus fun et surtout excellent pour la santé ! » lance le solide gaillard, les coudes posés sur la table de bois brut du Samovar, un sympathique salon de thé d’Autrans. « Il faut dire, conclut-il, que nous récoltons l’héritage de 1968. » Autour de la table, tout le monde acquiesce.
Grenoble, 1968 : les premiers Jeux olympiques d’hiver diffusés en couleurs par la télévision, la grande fête de la montagne et du ski, les trois médailles d’or de Jean-Claude Killy… et le Vercors au sujet duquel, pour la première fois depuis 1944, on évoquait autre chose que la sanglante répression de la Résistance par la Wehrmacht. C’est à Autrans que se déroulèrent la quasi totalité des épreuves nordiques (ski de fond, biathlon, combiné nordique, saut sur petit tremplin). Par la grâce de la technologie, la forteresse s’ouvrait à nouveau au grand public. Elle surfe toujours sur les bienfaits de cette résurrection médiatique.
A tel point que les célébrations du 50e anniversaire des JO de Grenoble seront un des événements phares de la saison sur les plateaux vertacomicoriens. Les organisateurs de La Foulée blanche ont même accepté de repousser l’épreuve de quelques jours (du 3 au 7 février), afin qu’elles apportent un supplément de faste aux célébrations… Ce qui augmentera par la même occasion leurs chances d’avoir de la neige : pour la saison 2016-2017, il avait fallu attendre la deuxième quinzaine de janvier pour que les stations du Vercors bénéficient d’un enneigement satisfaisant.
De l’autre côté de la Molière, sorte de longue butte séparant le plateau en deux, sont Lans, Villard, Corrençon. On trouve dans cette vallée les plus belles pistes de ski alpin du Vercors. Elles se déploient sur les flancs des montagnes qui marquent la frontière est du massif. D’un côté, une pente douce, les 125 kilomètres de pistes de l’Espace Villard-Corrençon. Des vertes, des rouges, des noires, mais aussi un snowpark, un espace freeride et des lieux dédiés aux enfants : les 8 hectares du luge park La Colline des Bains et le hameau des Rambins, domaine de ski pour débutants à partir de 3 ans. De l’autre côté, c’est le vide, les vertigineuses falaises dominant la cuvette de Grenoble. Au sommet du téléski →
GRENOBLE, 1968 : INOUBLIABLES JEUX OLYMPIQUES
→ de la Combe des Virets, le Vertige des Cimes : un belvédère de 2 mètres de long, fixé à 300 mètres de haut, permet de s’avancer au-dessus du néant. Une expérience ébouriffante… surtout quand le vent, remontant la longue barrière des falaises, se met à souffler avec furie.
Dans ces stations particulièrement bien pensées pour les familles avec de petits enfants, on trouve aussi, c’est sans doute le génie du Vercors, des champions de freeride comme Guillaume Ruel. Ce moniteur de l’ESF a grandi à Corrençon. C’est tout près de là, entre falaises et dévers, qu’il s’est initié à cette discipline. Sa passion l’a conduit dans le monde entier pour concourir avec d’autres champions du Freeride World Tour. Mais la découverte des plus belles parois de la planète n’a en rien entamé son amour pour le pays de son enfance : « Ici, on est petit, on est loin de tout et pourtant tout proche d’une grande ville. C’est le parfait mélange. Et puis, il y a tout pour être heureux ! Je ne suis pas seulement un fou de ski, je suis aussi un amoureux de pêche, de chasse, de VTT : j’aime la nature et je suis comblé ! » Le massif exerce un puissant magnétisme sur les amoureux de liberté et de grands espaces. Avec ses 186 000 hectares, le Parc naturel régional du Vercors fait partie des plus grands de France, mais c’est surtout la réserve naturelle nationale des hauts plateaux du Vercors, un espace totalement préservé de plus de 17 000 hectares, qui est le coeur sauvage de ce pays. Symbole de liberté, rêve de glisse silencieuse dans des paysages vierges, le traîneau à chiens est bien adapté à ces vallées farouches. On trouve, sur les plateaux du Vercors, quelques mushers hauts en couleur. C’est le cas de Florence et Bernard Dumoulin. Ces deux-là font partie des quelques passionnés de traîneau à chiens qui, au début des années 1990, se fixèrent le défi de populariser cette pratique jusqu’alors réservée à une élite, aux rares chanceux qui avaient la possibilité d’entretenir une meute. Près de trente ans plus tard, ils estiment avoir initié plus de 70 000 personnes à la conduite de cet attelage canin… Aujourd’hui, sept mushers professionnels exercent leur activité sur les plateaux. Qui vient à eux ? Tous ceux qui, las de la surconsommation de la montagne, cherchent une activité plus authentique, loin de la foule. Que ceux-là se rassurent : il y aura toujours une place pour eux dans les vallées enneigées, sur les plateaux et les sommets solitaires du massif du Vercors.
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ON TROUVE PAR ICI DES MUSHERS HAUTS EN COULEUR