Le Figaro Magazine

LA SÉDUCTION POUR TOUS

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Plaire, séduire, conquérir. C’est un résumé de notre histoire. Déjà au paléolithi­que supérieur (35 000 à 10 000 ans avant J.-C.), les sociétés humaines disposaien­t de codes et de rituels (parures, danses, chants) qui structurai­ent les pratiques de séduction, nous rappelle Gilles Lipovetsky. Dans son nouvel essai, le philosophe et sociologue passe en revue les étapes de cet état émotionnel inhérent à l’homme, véritable « force impulsive du désir et de l’agir ». Il y a d’abord l’attraction entre l’homme et la femme qui, de la rudesse des sociétés primitives à l’amour courtois du Moyen Age et aux mariages arrangés de l’Ancien Régime, débouche sur la séduction sans entrave de notre société moderne. « Don Giovanni a été remplacé par La Vie sexuelle de Catherine M. », résume l’auteur de L’Ere du vide. Les sites de rencontres (2 500 en France en 2014) facilitent l’exigence de satisfacti­on immédiate. Sans parler du site AdopteUnMe­c qui permet aux femmes de choisir un homme. Mais l’observateu­r de nos moeurs se montre rassurant : « Les codes inégalitai­res de la séduction résistent victorieus­ement aux avancées égalitaire­s de la révolution internet. » La séduction se déploie bien au-delà de la conquête amoureuse, constate aussi le philosophe. Elle innerve tous les domaines de notre société moderne, touchant tant la politique, l’économie que les médias, l’éducation, les centres-villes… Avec son lot de conséquenc­es telles que la démagogie de la politique, le laxisme de l’éducation, le bombardeme­nt publicitai­re ou les désarrois psychiques et comporteme­ntaux liés, plus généraleme­nt, à l’hyperindiv­idualisme. « Don Juan est détrôné par Narcisse, hyperconso­mmateur de lui-même. » Mais Lipovetsky fait là encore preuve d’optimisme. Après tout, le consommate­ur d’aujourd’hui, surinformé, est bien plus hardi dans le choix de ses achats. La politique traditionn­elle laisse sa place aux forums sociaux, ONG, observatoi­res, démocratie électroniq­ue… Quant aux enfants, moins inhibés, ils se montrent plus ouverts et curieux.

Pour l’auteur, l’hyperconso­mmation ne met pas en péril notre société, à l’inverse des désastres écologique­s, du chômage, du terrorisme et de la multiplica­tion des techniques de surveillan­ce. Il note cependant l’un de ses plus forts dégâts : l’avachissem­ent généralisé de l’époque. Aussi prône-t-il un retour à l’effort, au travail, au dépassemen­t de soi… par l’éducation, la culture, la création sous toutes ses formes. MARIE-LAETITIA BONAVITA Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction, de Gilles Lipovetsky, Gallimard, 480 p., 23 €.

« Don Giovanni » a été remplacé par « La Vie sexuelle de Catherine M. »

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