“MACRON DÉGAGE UN ESPACE INATTENDU POUR L’OPTION CONSERVATRICE”
Pour le sociologue Mathieu Bock-Côté, la droite peut renaître si elle consent à occuper son espace naturel. A l’inverse, le politologue Olivier Duhamel juge que celle-ci a toutes les raisons de craindre Emmanuel Macron car il peut réussir à fédérer au-del
Pour que la droite puisse se retrouver sur une ligne et un projet, il faut d’abord savoir quoi penser d’Emmanuel Macron. Le Président règne maintenant sur un électorat central qui comprend une partie de la droite. Est-ce un miroir aux alouettes ? Ou faut-il considérer que Macron est un président de droite en devenir ? Olivier Duhamel* – Que signifie être de droite ? Si l’on s’en tient à la définition la plus simple et la plus constante, la droite privilégie la liberté au risque des inégalités et la gauche, l’égalité au risque d’une restriction de libertés. Alors Macron est économiquement de droite lorsqu’il réduit l’ISF et l’imposition des revenus du capital. Mais le voici « de gauche », lorsqu’il divise par deux les effectifs des classes dans les quartiers en grande difficulté sociale ou supprime la taxe d’habitation pour 80 % des Français… Le vrai problème pour la droite, en tout cas la gaulliste, c’est qu’il renoue avec le rêve gaullien d’un rassemblement par-delà la droite et la gauche. Mathieu Bock-Côté** – Macron se croit particulièrement rusé politiquement. D’un côté, il travaille à rassembler les progressistes, assimilés aux forces vives de la nation, à la différence des conservateurs qui représenteraient le bois mort de la vieille France. De l’autre côté, il met en place la « stratégie Blanquer » et prétend brouiller les clivages en récupérant la meilleure part du monde d’hier. De ce point de vue, il se distingue d’un Justin Trudeau auquel on le compare trop facilement. Les deux se meuvent dans le même imaginaire mondialisé, mais Justin Trudeau adhère aussi à un multiculturalisme extrême qui passe, par exemple, aujourd’hui, par l’ouverture au niqab. Sur le fond des choses, le macronisme est un progressisme militant. Alors sera-t-il un président de droite ? J’en doute. Pour peu qu’on dégage le clivage gauche-droite du seul registre économique, Macron n’occupe pas l’espace de la droite. Reste à voir si la droite ellemême veut l’occuper.
Le projet de la droite pendant la présidentielle était libéral et conservateur. Si Emmanuel Macron s’approprie la référence libérale, ne reste-t-il plus que le conservatisme ?
O. D. – Macron phagocyte certes la référence libérale, mais il ne la gobe pas entièrement. La réduction des dépenses publiques s’avère des plus limitées. Vis-à-vis des collectivités territoriales, il se range plus du côté des Jacobins que des Girondins. La nouvelle politique universitaire se colore d’étatisme : qui gérera l’orientation des étudiants ? Pas les universités, les rectorats. La pratique institutionnelle s’inscrit dans la plus pure tradition présidentialiste. Mais la droite est-elle prête à devenir authentiquement libérale ? Vraiment girondine ? Franchement parlementaire ? Ce serait une grande première, qui ne pointe pas du tout à l’horizon. Cela dit, l’extension quasi constante des interdits, au nom d’un moralisme de plus en plus envahissant – voyez les tentations de censure cinématographique au nom de la lutte antitabac ! – devrait inciter la droite à se soucier un peu plus des libertés.
M. B.-C. – Nul n’a le monopole du libéralisme dans la modernité politique. Mais il est vrai qu’en annexant cette part de la droite qui confond souvent modération et capitulation idéologique, Macron dégage un espace inattendu pour l’option conservatrice.
O. D. – Oui, mais là aussi, la droite se trouve en difficulté pour se distinguer franchement de Macron ! Sur les questions de société, un strict conservatisme la couperait de la majorité des jeunes, et plus largement des Français. Wauquiez l’a compris, qui vient de renoncer à l’abrogation de la loi Taubira. Sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, la dernière loi a →
→ déplacé le curseur vers la restriction des libertés, et la course à droite au mieux-disant répressif atteint vite ses limites lorsqu’elle aboutit à prôner des mesures aussi liberticides et absurdes que l’internement de tous les fichés S. Restent alors deux terrains plus propices à la différenciation, surtout lorsque l’on n’en fait qu’un, la double question de l’immigration et de l’islam.
M. B.-C. – En amont des mesures précises supposément conservatrices, il faut rappeler que le conservatisme est une philosophie à part entière. Les hommes ont besoin d’une demeure, d’un monde commun auquel ils peuvent s’attacher par les fils les plus intimes de leur être. C’est à cette condition, d’ailleurs, qu’ils sont capables de penser au-delà d’eux-mêmes et de s’élever à la conscience civique. On a assisté, ces dernières années, à une renaissance intellectuelle du conservatisme français parce qu’il a justement su traduire dans les termes de la philosophie politique l’aspiration à l’enracinement. Mais il est vrai que les politiques, eux, ne savent pas trop qu’en faire, à part des discours. Ils ont bien compris ce qui faisait réagir le peuple de droite, mais cela demeure pour eux de la littérature électorale
Laurent Wauquiez se dit « identitaire ». Ce mot est-il le bon, et le placet-il en sympathie avec le Front national ?
O. D. – Jusqu’où la droite doit-elle aller dans la récupération populiste ? Faut-il garder une ligne modérée ou adopter une ligne de rupture ? Merkel ou Buisson ? Identitaire : le terme qualifie assez bien, d’une part, la volonté de limiter drastiquement l’immigration, d’autre part, le rejet de l’islam, jugé par nature incompatible avec la démocratie. Ce n’est pas faire procès à Wauquiez que de le situer dans ce camp. Il récuse toute « alliance » avec le Front national. Non tant pour ses idées, que parce qu’elle détruirait le parti qu’il va présider. Il ne condamne pas les positions de Marine Le Pen, mais constate qu’« elle s’est perdue parce que quelque chose s’est cassé lors du débat du second tour de la présidentielle ». Le Pen n’est pas idéologiquement inacceptable, juste « médiapolitiquement » morte. Cette ligne ferait perdre des électeurs « orléanistes », mais gagner des électeurs frontistes. Quel serait le solde ? Nul ne peut le dire. A supposer qu’il soit positif, d’aucuns peuvent penser qu’il abîmerait la France et l’isolerait, tant en Europe que dans le monde.
M. B.-C. – Tous les mots par lesquels la droite pourrait se définir sont piégés. Réactionnaire ? Un antimoderne déclaré voulant faire de sa nostalgie une politique. Conservateur ? Ce mot n’a jamais eu trop de succès en France. Identitaire ? Le terme a d’abord été revendiqué par des groupuscules de mauvaise compagnie. Pourtant, la question identitaire est vitale. La peur de devenir étranger chez soi domine notre époque, et quoi qu’on en pense, elle est fondée. Il ne faut plus hésiter à s’opposer fermement à l’immigration massive, aux accommodements à répétition avec l’islam militant, à un antiracisme devenu fou. Il ne faut pas hésiter à dire que la France doit demeurer la France, et qu’elle n’est pas qu’un espace administratif et juridique se définissant seulement par les droits de l’homme, ou qu’on peut défendre en même temps les racines chrétiennes de la France et la laïcité comme principe politique. Reste la question des appareils. Faut-il spéculer, comme d’autres le font, sur l’union des droites ? A mon avis, c’est une vieille lune. Il s’agit moins de combinaisons électorales bancales que d’une proposition politique forte s’appuyant sur une philosophie politique assumée dont la droite a besoin.
Tout cela ne nous dit pas si, face à l’habile Macron, Laurent Wauquiez a d’autres choix que la stratégie du cogneur ?
M. B.-C. – Macron oblige la droite à s’assumer, et Wauquiez, pour l’instant, prétend relever ce pari. On lui fait un bien mauvais procès lorsqu’on le « frontnationalise ». Il est aberrant de lui reprocher de vouloir réintégrer dans la vie politique régulière des thématiques qui jamais n’auraient dû être refoulées dans les marges. Wauquiez a deux raisons de « cogner ». D’abord, pour exister face à Macron en marquant une différence de fond avec lui. Mais aussi face au FN, encore fragilisé par sa campagne présidentielle ratée et même pathétique de 2017. On ne voit pas à quoi servirait une droite pénitentielle se définissant surtout comme une non-gauche. Reste à voir, cela dit, si Wauquiez connaîtra la tentation, comme bien d’autres avant lui, de gagner son parti sur sa droite pour ensuite camper au centre en espérant se normaliser médiatiquement.
O. D. – Dans cette logique identitaire assumée, pourquoi diable récuser le rapprochement idéologique avec le Front national, alors qu’il est flagrant. Finalement, Macron, Le Pen, Wauquiez et vous vous retrouvez sur un point : les clivages ouverts/fermés ou cosmopolites/nationalistes, qu’importent les mots, deviennent plus importants que le clivage gauche/droite, qu’ils transpercent. Ont-ils raison ? Nul ne peut le dire, car cette histoire est en train de s’écrire.
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* Olivier Duhamel est président de la Fondation nationale des sciences politiques. Il vient de publier Macron, et en même temps… avec Laurent Bigorgne et Alice Baudry, chez Plon, et une nouvelle édition de son Histoire de la Ve République, avec Julie Benetti chez Dalloz. ** Mathieu Bock-Côté, sociologue et chargé de cours à HEC Montréal, a publié Le Multiculturalisme comme religion politique (Editions du Cerf, 2016).
“UN STRICT CONSERVATISME COUPERA WAUQUIEZ DES FRANÇAIS ! ”