PASSION FIXE
LETTRES À YSÉ, de Paul Claudel, Gallimard, 464 p., 29 €. Texte établi, présenté et annoté par Gérald Antoine.
Si Claudel n’avait pas vécu au temps des lettres fleuves et du désir coupable, mais à l’ère du portable et des sexfriends, cette fastueuse correspondance n’aurait jamais vu le jour. La folle histoire qui la soutient non plus. En 1900, sur le paquebot qui l’emmène en Chine, le jeune homme, qui vient de renoncer à la bure pour embrasser la Carrière, s’enflamme pour Rosalie Vetch, une superbe plante, fatale et mariée. A 32 ans, il brûle du besoin d’abandon. Quand, foulant les convenances, cette incarnation presque trop parfaite de l’idéal féminin s’installe sous son toit, le
« petit consul » est loin d’imaginer que ce grand amour se soldera par un remariage d’intérêt pour elle, un mariage de raison pour lui. Mais un poète renonce-t-il si vite à l’impossible ? On s’en voudrait de dévoiler les rebondissements d’une passion dont ces lettres, en partie inédites, dessinent la sismographie tantôt sublime et tragique, tantôt capricieuse et triviale, tout en matérialisant les sources intimes du dramaturge. Qui se cachait derrière l’évanescente Ysé de Partage de midi, qui avait inspiré l’orgueilleuse Prouhèze du Soulier de satin ? Nous le savons enfin. Demeure l’énigme d’un créateur rongé de contradictions. D’où cet aveu à celle qui l’avait tant trahi : « Le sentiment que j’ai de grandes choses sacrées et éternelles, comme il a été accordé à peu d’hommes, et cela avec une nature si médiocre ! »