BEAUVAL, LA PLUS GRANDE MATERNITÉ ZOOLOGIQUE DE FRANCE
LA PLUS GRANDE MATERNITÉ ZOOLOGIQUE DE FRANCE
Lundi, Brigitte Macron assistera, au côté de l’ambassadeur de Chine, à la « cérémonie du nom » du premier panda né sur notre territoire. Un événement à la hauteur des moyens d’exception mis en oeuvre par le plus grand zoo de France pour favoriser la naissance, chaque année, de 600 bébés.
C’est le dernier empereur. A quatre mois, Mini Yuan Zi, premier panda né sur le sol français, attire encore les caméras et les hauts dirigeants du monde entier. Dernier en date : Nicolas Sarkozy. Après avoir négocié cinq ans avec le gouvernement chinois pour accueillir un couple de pandas géants, l’ancien président de la République est allé faire la connaissance du fruit de leur alliance le 22 novembre dernier. Lundi, ce sera au tour de Brigitte Macron de se déplacer dans le Loir-et-Cher pour assister au côté de la famille Delord – Françoise, la fondatrice, et ses enfants, Rodolphe et Delphine, deux repreneurs très actifs – à la « cérémonie du nom » de cette petite boule de poils de 7 kilos encore surnommée du nom de son père. Un tel enthousiasme prouve que, s’il est considéré, en Chine, comme un trésor national, cet animal, que José Frèches décrit comme « l’ami des enfants et le symbole de la préservation de la nature » dans son nouveau roman, Le Père David, l’impératrice et le panda *, n’est pas loin de gagner le même titre dans le coeur des Français. Quelques jours avant les convois de ces hautes personnalités, direction Beauval pour observer de plus près l’objet de toutes les convoitises. Ce matin-là, alors que la brume de novembre jette un manteau bleuté sur la campagne de Saint-Aignansur-Cher, des cris féroces indiquent que, dans le zoo, le ballet des soigneurs a commencé. Sur les 35 hectares qui bordent la propriété de la fondatrice du zoo, ils s’organisent par secteurs pour nourrir les animaux, nettoyer les enclos, laver les vitres et observer le bon état des barrières de sécurité auxquelles le parc porte une attention toute particulière, autant pour les visiteurs que pour le personnel.
Loin de se préoccuper de l’agitation qui l’entoure, Mini Yuan Zi dort paisiblement dans sa caisse en plastique. La star de Beauval ronfle devant une caméra de surveillance et sous le regard attentif de Duan Dong Qiong. Cette femme au sourire timide, qui ne parle pas un mot de français, est l’une des deux soigneuses chinoises formées à la base de Chengdu, un centre de reproduction de pandas du Sichuan, qui a permis, notamment, de faire rétrograder l’espèce de « menacée » à « vulnérable ». Aujourd’hui, elle travaille ici pour s’occuper de la mère, Huan Huan, qu’elle a vue naître en Chine il y a neuf ans, et de son premier bébé. Avec He Ping et deux soigneuses
CINQ ANS DE NÉGOCIATIONS POUR FAIRE VENIR LES PANDAS
françaises, elles se relayent au chevet des pandas 24 heures sur 24. Après avoir montré patte blanche et recouvert par deux fois ses souliers de chaussons en plastique, on observe ces sages-femmes un peu particulières à la tâche. Alors que l’ourson éternue dans son sommeil, Astrid attrape instinctivement un crayon pour noter l’information. Dans une salle adjacente, Sophie a le même réflexe. Cette étudiante en éthologie passe ses journées devant les écrans de contrôle pour consigner chacun des faits et gestes de la mère panda et de son bébé. « Je réalise une étude comportementale, explique-telle. Arrivée sur les lieux avant la gestation, j’ai pu noter les changements d’attitude de Huan Huan après l’insémination de février. Progressivement, elle s’est mise à assembler des branches comme pour faire un nid, à se lécher régulièrement le bas du ventre et à prendre dans ses bras des objets avec la délicatesse qu’aurait une mère pour son nourrisson. Ces signes maternels étaient encourageants, mais jusqu’à l’échographie, on ne pouvait crier victoire car les pandas sont sujets, parfois, à des grossesses nerveuses. » Jusqu’en juillet, toute l’équipe de vétérinaires et de soigneurs de Beauval a retenu son souffle. Une première échographie a révélé un foetus. Une seconde, quelques jours plus tard, a montré un deuxième petit. Mais une grossesse gémellaire, notamment pour une femelle primipare comme Huan Huan, est forcément risquée. Confirmation quand, à la mise bas, elle a immédiatement délaissé l’un des petits : il n’était pas viable. L’autre mâle, se portant bien, il a pu bénéficier des premiers gestes affectueux de sa →
→ mère avant d’être pris en charge par l’équipe médicale. Quatre mois après sa naissance, Mini Yuan Zi passe encore la moitié de son temps avec les soigneurs qui veillent par exemple à le recaler sur les mamelles de sa mère à chaque tétée, mais surveillent aussi régulièrement son poids, sa taille et sa température. Après la vérification sous nos yeux de ces données, il est temps de le remettre sur sa mère, mais Huan Huan, étalée de tout son poids sur une planche de bois, ne semble pas pressée de reprendre son service.
On en profite pour rejoindre la serre tropicale où, dans un bassin de 800 mètres cubes, un autre nouveau-né attend de passer la visite médicale du premier mois. Cette femelle lamantin est apparue parmi ses sept congénères le 28 octobre dernier au côté d’une soeur mal en point. Jean-François, qui gère le secteur depuis plusieurs années, était présent : « Comme souvent, les jumeaux naissent prématurément et ils sont petits, précise le soigneur. L’un pesait 10 kilos, ce qui est deux fois moins que la normale. Il a été réanimé à deux reprises, mais n’a pas tenu la journée. L’autre, en revanche, pesait 5 kilos de plus et s’est montré résistant. »
A cette seconde, le principal intéressé révèle pourtant un comportement inquiétant : comme inanimé, il s’enfonce doucement au fond du bassin. En enfilant sa combinaison de plongée, le soigneur s’en amuse : « Il fait ça chaque fois qu’il
LE LAMANTIN N’EST PLUS UNE ESPÈCE MENACÉE
s’assoupit. Je vais aller le réveiller pour la pesée. » Les gestes du professionnel sont précis : tout en offrant des caresses rassurantes à la mère, un mammifère de 3 mètres de long, il saisit le bébé sous le regard curieux de ses voisins de bassin – tortues, arapaïmas et pacus – pour le confier à l’équipe vétérinaire. En moins de dix minutes, ils procéderont sur le ponton à la pesée, à plusieurs mesures, et à une prise de sang dont l’échantillon sera conservé dans la sérothèque du centre médical du parc. Pendant tout l’examen, la mère, calée près de la vitre, aura veillé au grain.
Avec la naissance, en mars dernier, d’un lamantin d’une mère fécondée de manière naturelle, le parc zoologique de Beauval peut se féliciter de préserver ce mammifère marin disparu de la Guadeloupe au début du XXe siècle. La préservation en captivité et la réintroduction ont permis, comme c’est le cas pour les pandas, une heureuse déclassification. Hier encore très menacées, ces espèces sont aujourd’hui classées « à préoccupation mineure ». Intitulé trompeur quand on voit l’attention portée ici à leurs soins et à leur reproduction. Car comme bon nombre d’animaux du zoo, le →
→ lamantin des Antilles participe à un système d’échanges entre les parcs. Ces EEP (programmes européens pour les espèces menacées), créés sous l’impulsion des Allemands dans les années 1980 et auxquels Beauval collabore depuis trente ans, permettent de multiplier les chances d’avoir des petits et d’assainir les espèces en évitant la consanguinité qui menace inexorablement les individus en captivité. Trois cents parcs zoologiques répartis dans 25 pays s’échangent ainsi gratuitement les reproducteurs selon les directives des coordinateurs. Vétérinaires ou soigneurs, ces passionnés se sont portés volontaires pour gérer, en plus de leur activité, les prêts des individus de l’espèce dont ils ont la charge en fonction de leur caractère génétique. Mais quand la nature ne fait pas bien les choses et qu’un accompagnement médical est nécessaire à une reproduction saine, d’autres techniques entrent en jeu. Soucieux de maintenir sur terre les éléphants d’Afrique – dont le braconnage et la déforestation ont fait disparaître 90 % des individus en un siècle ! –, le zoo de Beauval a ainsi créé la première banque de sperme de ces pachydermes. Au rez-de-chaussée de la clinique vétérinaire flambant neuve qu’abrite le parc, deux citernes d’azote liquide conservent à – 180 °C des dizaines de tubes à essai. « En survolant en hélicoptère une réserve privée d’Afrique du Sud, nous avons pu anesthésier à distance des mâles sauvages et prélever des semences que nous avons congelées et rapportées ici, explique Antoine Leclerc, l’un des trois vétérinaires permanents. Les Américains n’ayant pu importer les échantillons sur leur territoire à cause de leur strict règlement sanitaire, nous possédons à présent la seule banque de
UNE BANQUE DE SPERME D’ÉLÉPHANT UNIQUE AU MONDE
sperme d’éléphants au monde. » De la même manière que les prêts de mâles reproducteurs, les dons s’effectuent dans le cadre d’un EEP en échange d’une participation financière aux 15 000 euros annuels que dépense l’association Beauval Nature rien que pour la consommation d’azote.
La prochaine insémination sera donc sauvage. En attendant, les six femelles de la plus grande harde de France veillent sur le petit dernier, un beau bébé de 5 ans conçu par insémination artificielle avec la semence d’un ancien mâle du zoo, et s’organisent en deux groupes sur les 5 hectares qui leur sont dédiés. Chaque jour, l’une d’entre elles se voit proposer une séance d’entraînement médical. Cette méthode douce développée dans les parcs zoologiques européens est une révolution. Elle consiste à préparer les animaux sauvages à tous les examens pour lesquels l’anesthésie n’est pas forcément nécessaire, mais peut même s’avérer stressante, voire dangereuse. Comme les éléphants, pandas, otaries, fourmiliers, lions ou lamantins sont sollicités pour apprendre, en échange de récompenses, à se coucher sur le dos, à lever la patte ou à présenter l’orifice d’une oreille. Après plusieurs années de travail et une bonne dose de friandises – patates chaudes, pommes, carottes –, il est impressionnant de voir les résultats. Aujourd’hui, à Beauval, la femelle panda est capable de se coucher sur commande pour une échographie, le gorille se laisse administrer des médicaments et le rhinocéros accepte sans sourciller une prise de →
→ sang. « Grâce aux phases de désensibilisation, le cerveau ne perçoit plus les stimuli des examens médicaux comme des sensations désagréables, et l’animal perd ses mouvements de réflexe de défense », précise le vétérinaire.
Chez les gorilles, en revanche, à l’heure du goûter, inutile d’accomplir des gestes précis pour avoir droit à une collation. Quand Asato, le père de tous les petits nés ici, voit arriver Manon et ses assistantes les bras chargés de cagettes remplies de produits frais, il sait parfaitement ce qui l’attend. Cet imposant mâle reproducteur de 200 kilos grimpe jusqu’au toit de grillage et ouvre la bouche en grand. Dans la bouteille qu’on lui tend : de la tisane ! « Ils en raffolent, assure Manon. Et la leur donner à la main nous permet de vérifier leur dentition. » Les femelles ne tardent pas à singer leur chef de groupe pour s’abreuver. Les petits, eux, ne se lassent pas de jouer. Kitano et Uamba - 22 et 23 mois - s’accrochent pour effectuer des roulades en duo sous les applaudissements d’une fillette incapable de décoller ses yeux de la vitre. Difficile d’imaginer, en voyant sa joie, que les futurs locataires de notre planète ne connaîtront peut-être jamais le même bonheur. Pourtant, les grands singes – et particulièrement les gorilles – sont aujourd’hui les ani-
LES GORILLES SONT VOUÉS À DISPARAÎTRE D’ICI 10 OU 20 ANS
maux les plus menacés. Victimes de la chasse en temps de guerre, d’enlèvements de leurs petits, mais aussi de l’invasion de leur espace pour la plantation de palmiers à huile et l’extraction de coltan – minerai indissociable de nos téléphones portables –, ils sont voués à disparaître d’ici 10 ou 20 ans. C’est pourquoi les chimpanzés et les orangs-outans font aussi l’objet d’une surveillance particulière. Exemple, quand Manis, vieille femelle rousse de 27 ans, montre une nouvelle infection du sac laryngé, les médecins n’hésitent pas à passer sa gorge sous les rayons X. Pour s’offrir ce scanner vétérinaire
– le seul d’Europe et le quatrième dans le monde –, le zoo de Beauval a dépensé 300 000 euros. Un lourd investissement qui évite cependant les déplacements à l’hôpital et vient s’ajouter à un équipement à la pointe de la technologie : une radio numérique mobile, un échographe portable et robuste accompagné de sondes de toutes tailles passant à travers les grilles, un endoscope… et une série de machines de laboratoire visant à assurer le suivi hormonal des animaux avant les inséminations. →
→ D’assistance à la reproduction, il n’est heureusement pas question chez les fauves. La joyeuse portée de lionceaux qui anime Beauval prouve la bonne santé de leurs géniteurs. Installés sur le rocher de leur nouvel espace – qui a été pensé comme un territoire au coeur de la savane – les quadruplés de 6 mois (deux mâles et deux femelles), leurs deux grands frères et leurs parents donnent l’impression de poser pour la prochaine carte de voeux de la famille. « Pour l’instant, l’ambiance est bonne, confie Sébastien, leur soigneur. Mais l’idéal serait de faire partir les deux grands mâles rapidement pour que le groupe reste stable car, à 2 ans, ils commencent à s’écharper régulièrement avec leur père. » Si la politique du parc zoologique est de laisser les animaux se gérer eux-mêmes – dans leurs rapports, l’éducation et le nourrissage de leurs petits – la mission première des soigneurs est l’observation du comportement et du bien-être de leurs protégés. Pour leur épanouissement, ils cherchent sans cesse à créer de nouveaux enrichissements. Jonathan, responsable de la plaine asiatique le confirme : « On interagit le moins possible dans leur mode de fonctionnement. C’est très rare que l’on donne des biberons aux nouveau-nés par exemple. Si une mère refuse de nourrir son petit, on l’encouragera seulement à le faire. Heureusement, les femelles rhinocéros et tapirs dont j’ai la charge se sont révélées être de très bonnes mères.» Alors qu’on s’apprête à retourner voir Mini Yuan Zi, une immense grue dominant un chantier titanesque attire notre attention. En s’approchant, on découvre qu’un gigantesque dôme en verre commence à sortir de terre. Bientôt, il abritera dans une ambiance équatoriale une multitude d’espèces tropicales comme les lamantins des Antilles, les hippopotames pygmées et les dragons de Komodo. Preuve que la famille Delord n’est jamais à court d’idées pour attirer de plus en plus de visiteurs. En 2016, ils étaient ainsi 1,3 million à être séduits par l’endroit.
Mais à voir la surprise que nous réserve le bébé panda à l’heure de notre départ, tout laisse à penser qu’ils seront encore nombreux à se précipiter au parc zoologique de Beauval : sous le regard ébahi de ses bonnes fées, Mini Yuan Zi vient en effet de faire ses premiers pas ! ■ CLARA GÉLIOT
* Le Père David, l’impératrice et le panda, de José Frèches, XO Editions, 455 p., 19,90 €.
LA MISSION PREMIÈRE DES SOIGNEURS : L’OBSERVATION