Le Figaro Magazine

L’éditorial de Guillaume Roquette

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Dans le jargon des technocrat­es, on l’appelle « la fiscalité comporteme­ntale ». Elle regroupe l’ensemble des taxes et autres impôts que le fisc a inventés prétendume­nt pour notre santé, physique ou morale. Ça a bien sûr commencé par l’alcool, le tabac ou les jeux (70 % de taxes sur les recettes des casinos !), mais l’Etat ayant à la fois un besoin d’argent irrépressi­ble et une imaginatio­n sans limites, le nombre et le montant des taxes prélevées pour notre bien ne cesse de croître. En 2018, la fiscalité sur le gazole va encore augmenter de 2 milliards, pour des motifs de santé publique bien sûr, et les parlementa­ires veulent alourdir de 150 millions d’euros supplément­aires la « taxe soda » sur les boissons sucrées afin de financer la Sécurité sociale. Enfin, côté tabac, pas moins de six nouvelles hausses sont prévues d’ici à 2020.

Il y a une grande part d’hypocrisie dans cette fiscalité hygiéniste. Après tout, si l’Etat considère que les sodas sont mauvais pour la santé, il n’a qu’à les interdire. Mais il préfère évidemment se remplir les poches en toute bonne conscience. Même s’il sait pertinemme­nt que l’efficacité de toutes ces taxes supposémen­t dissuasive­s n’est pas évidente : malgré une hausse continue des taxes sur le tabac, le nombre de Français qui se déclarent fumeurs (16 millions) n’a ainsi pas baissé depuis 2010. En revanche, le marché de contreband­e a explosé… Mais voilà, dans un pays miné par le ras-le-bol fiscal, Bercy a trouvé un bon moyen d’augmenter encore les impôts sans se faire mal voir. Difficile de s’opposer à des mesures incitant les Français à polluer moins ou à manger mieux sans passer pour un mauvais citoyen. Mais jusqu’où ira cette fiscalité moralisatr­ice ? Après tout, il n’y a aucune raison de taxer les pizzas au même taux de TVA que les légumes, au vu de leur impact sur la santé. Et que dire du beurre, dont les ravages sur le système cardio-vasculaire ne sont plus à démontrer, mais qui ne profite pas moins lui aussi du taux réduit à 5,5 %.

L’Etat moderne traite ses citoyens comme des enfants, persuadé qu’ils sont incapables de décider comme des grands ce qui est bon pour eux. Et cette mise sous tutelle ne s’arrête hélas pas au porte-monnaie : l’actuelle ministre de la Santé s’était ainsi mis en tête il y a quelques jours d’interdire la cigarette au cinéma, avant de faire machine arrière devant l’ampleur des protestati­ons. Mais gageons que ce n’est que partie remise : on a bien forcé Lucky Luke à troquer sa clope contre un brin d’herbe, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Cette prétention de l’Etat à vouloir faire notre bonheur, y compris malgré nous, alors qu’il n’est même plus capable de garantir nos retraites ou notre sécurité, est un des signes de l’impuissanc­e croissante de l’action publique. « Que l’autorité se borne à être juste », pestait le parlementa­ire libéral Benjamin Constant, il y a déjà deux siècles, « nous nous chargerons d’être heureux. »

Ce que Georges Pompidou résumait en une formule encore plus lapidaire : « Arrêtez d’emmerder les Français ».

QUE L’ÉTAT ARRÊTE ENFIN

DE VOULOIR FAIRE NOTRE BONHEUR

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