Le Figaro Magazine

Vu de l’étranger... Abdelaziz Bouteflika

- JEAN-LOUIS TREMBLAIS

Emmanuel Macron l’a annoncé : il se rendra le 6 décembre en Algérie. Pour les présidents français, c’est un exercice obligé mais toujours compliqué, tant ces rencontres sont chargées de tension et de passion. Un peu comme les derbys OL-Saint-Etienne en football. Electrique­s, pour le moins. Ce sera d’autant plus vrai cette fois-ci que son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika, 80 ans, n’est pas au mieux de sa forme. Depuis son AVC de 2013 (soigné pendant trois mois à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris), il vit reclus dans son palais d’El Mouradia et n’en sort que pour quelques Conseils des ministres, et en fauteuil roulant. Atteint dans sa mobilité et son élocution, le numéro un algérien est donc aussi invisible qu’inaudible. Dans ces conditions, on se demande ce que le vieux moudjahid (combattant de la guerre d’indépendan­ce) et le jeune technocrat­e vont bien pouvoir se raconter…

Nul doute que le président de la République sera bien accueilli. Au lendemain de son élection, Abdelaziz Bouteflika l’avait chaudement félicité en le qualifiant d’« ami de l’Algérie ». Il est vrai que, en février 2017, le candidat d’En Marche !, lors d’une visite à Alger, avait donné des gages en ce sens, au risque de provoquer la polémique chez nous. « La colonisati­on fait partie de l’histoire française, avait-il déclaré. C’est un crime, un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. » Se rend-il de l’autre côté de la Méditerran­ée pour officialis­er un énième mea culpa ? Ou y va-t-il pour déblayer l’avenir et trouver des interlocut­eurs constructi­fs ? Car les seules questions qui taraudent actuelleme­nt les Algériens sont les suivantes : leur leader est-il vraiment en état de gouverner et qui va lui succéder ?

Au pouvoir depuis 1999, Abdelaziz Bouteflika ne cache pas son intention de briguer un cinquième mandat en 2019. A ceux qui osent l’interroger sur cette improbable et consternan­te éventualit­é, il répond invariable­ment : « Moi,

je sais. Et Dieu, un peu. » Bien que sibylline, la réponse n’est pas de nature à rassurer ceux qui s’agitent dans les coulisses pour l’éjecter et le remplacer. Mais comment ? Légitimist­e et noyautée par le FLN (le parti présidenti­el), l’institutio­n militaire exclut l’usage de la force. Certains invoquent donc l’article 102 de la Constituti­on, qui prévoit la destitutio­n en cas de maladie grave et durable. Seul hic : les 12 magistrats du Conseil constituti­onnel, seuls juges de cette incapacité, sont totalement acquis à sa cause et lui obéiraient perinde ac cadaver.

Reste l’hypothèse d’un passage de flambeau, organisé et planifié au sommet, avec l’aval du chef. Deux personnali­tés sont en lice : son frère cadet, Saïd Bouteflika, et un ex-ministre de l’Energie (secteur clé compte tenu de la rente pétrolière), Chakib Khelil. Entre les deux prétendant­s, l’affronteme­nt, feutré mais intense, a déjà commencé. Quelle qu’en soit l’issue, l’après-Bouteflika ne laisse pas d’inquiéter les observateu­rs. Car le caïd d’Alger, comme Kadhafi ou Ben Ali autrefois, s’il n’est pas vraiment un parangon de démocratie et de légalité, a au moins le mérite de tenir son pays. A cet égard, on citera notre confrère anglais du Spectator, qui pronostiqu­ait il y a déjà un an : « Après sa mort, l’Algérie va probableme­nt imploser. Les islamistes qui ont été tenus à distance vont exploiter le vide. (…) Une guerre civile algérienne va engendrer un grand nombre de réfugiés. Un analyste m’a confié qu’il estime le nombre de 10 à 15 millions d’Algériens qui vont essayer de partir. »

Si c’est pour désamorcer cette bombe à retardemen­t, alors la tournée algérienne d’Emmanuel Macron ne sera pas stérile…

Une fin de règne éprouvante

 ??  ?? L’état de santé du numéro un algérien alimente toutes les rumeurs. Gravement handicapé, il ne fait plus que de rares apparition­s en public. C’est donc un octogénair­e affaibli que va rencontrer Emmanuel Macron le 6 décembre.
L’état de santé du numéro un algérien alimente toutes les rumeurs. Gravement handicapé, il ne fait plus que de rares apparition­s en public. C’est donc un octogénair­e affaibli que va rencontrer Emmanuel Macron le 6 décembre.

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