Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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Derrière le masque du cynisme, l’espérance

Lorsque parut Madame Marguerite, on était dans les années 1970. L’esprit Mai 68 soufflait encore sur le pays. Imaginez le triomphe ! Le public voit arriver sur scène une formidable actrice, jeune, sympa, libérée, dans le rôle d’une institutri­ce de CM2. Les premiers mots qu’elle adresse à ses élèves (des élèves imaginaire­s, puisqu’ils sont le public) sont en substance ceux-ci : « Vous êtes là pour obéir… On ne vous demande pas votre avis… Vous êtes des esclaves… Votre vie sera un calvaire… » Le tout à l’avenant, un genre de discours subversif dont raffole l’époque, avec ce qu’il faut de vulgarité, un cri de révolte d’une audace folle, qui visait en réalité le régime militaire régnant alors sur le Brésil. Un texte très fort, agressif, d’un auteur encore vivant aujourd’hui, Roberto Athayde. Le succès fut immense. Il dut beaucoup à Annie Girardot, dont l’interpréta­tion apportait au rôle-titre une humanité, une gentilless­e, un humour.

Nous n’avons pas retrouvé cette tonalité chez Stéphanie Bataille qui reprend ce rôle. Nous avons trouvé en revanche une folie qui ajoute beaucoup à la pièce. C’est comme une oeuvre nouvelle, une oeuvre d’une violence inouïe et d’une vérité bouleversa­nte. Ni l’actrice ni Anne Bouvier, qui la met excellemme­nt en scène, ne semblent « jouer » un instant avec ce texte qui pourtant s’y prête puisqu’il est souvent écrit à deux degrés, celui de la réalité et celui de la métaphore. En l’occurrence, il est « dit » par l’actrice dans son sens profond et brutal, celui d’une leçon de vie que donne à des enfants leur maîtresse sans rien leur cacher de la laideur du monde et des mensonges de la vie. Ce texte, elle se l’approprie réellement. Qu’est-ce que promet Madame Marguerite aux enfants auxquels elle s’adresse ? Le pire. Elle ne croit plus en rien. Même plus à la révolution. Et puis elle se ressaisit. Son apparent cynisme n’est que le masque d’une grande bienveilla­nce, d’une authentiqu­e générosité et d’une espérance jusqu’alors cachée. Il y aura toujours, dit-elle, une Madame Marguerite pour dire une vérité qui, si brutale soit-elle, rachètera le mal. La scène ultime de la pièce, cette péroraison à laquelle, tournant le dos à ses élèves, se livre l’enseignant­e, est une exhortatio­n morale aussi émouvante qu’était implacable sa révolte. Stéphanie Bataille incarne ce double rôle, celui de la lucidité noire et celui de l’espérance, avec une égale passion impression­nante, une exigence théâtrale, une sorte de démesure qui rappelle les démonstrat­ions utopiques des années 1970. C’est étonnant de sincérité et d’énergie.

Madame Marguerite, de Roberto Athayde. Mise en scène d’Anne Bouvier. Avec Stéphanie Bataille. Le Lucernaire (01.45.44.57.34).

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