La page d’histoire de Jean Sévillia
Le 7 décembre 1917, Lénine instituait la Tcheka. Six mois plus tard, cette police politique internait les catégories « socialement dangereuses » : bourgeois, nobles, koulaks (paysans riches). Outre les camps de concentration ouverts pour ceux-ci, les bolcheviques expérimentaient parallèlement les camps de travail destinés à remplacer la prison pour les délinquants condamnés par la justice. Né par la volonté de Lénine, l’inventeur du totalitarisme, l’univers concentrationnaire soviétique atteindra son plein développement avec Staline. En 1930, cette galaxie pénitentiaire sera placée sous l’autorité de la « direction principale des camps », dont l’acronyme, en russe, se prononce goulag. A la fin des années 1930, le système détiendra un peu moins de 2 millions de détenus, et au début des années 1950, à son apogée, environ 2,7 millions. A ces chiffres s’ajoutent les déportés du travail dépendant du goulag (1,2 million en 1939, 2,7 millions en 1953). Entre 20 et 40 % des détenus étaient relâchés chaque année, rotation permettant d’établir que 20 millions de personnes sont passées par les camps entre 1930 et 1953, sans compter les 6 millions qui ont été déportées au cours de la même période. En 1942-1943, près d’un détenu sur cinq laissait la vie au goulag. Ces rappels figurent en introduction d’un ouvrage qui confronte des notes et rapports de l’administration soviétique et les témoignages d’anciens détenus tirés de chefs-d’oeuvre littéraires comme L’Archipel du goulag, d’Alexandre Soljenitsyne, ou les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov (1).
Vu par les bourreaux ou par les victimes, le goulag est toujours une descente aux enfers. Un autre livre retrace le sort des enfants et adolescents originaires des pays européens annexés par l’URSS en 1939 et qui furent déplacés dans le Grand Nord soviétique, en Sibérie ou dans les steppes kazakhes (2). Ici, les arrachements aux parents et au pays natal forment une chaîne de souffrances que la résilience enfantine guérira, mais dont la mémoire douloureuse resurgira à l’âge adulte. Poignante histoire des crimes du communisme.
(1) Le Goulag. Témoignages et archives, édition établie, annotée et présentée par Luba Jurgenson et Nicolas Werth, Robert Laffont, « Bouquins », 1 152 p., 33 €.
(2) Enfants du goulag, de Marta Craveri et AnneMarie Losonczy, Belin, 280 p., 24,90 €.