Philtres d’amour
Lorsque la puissance des mots comme dans « Belle du Seigneur », d’Albert Cohen, n’a d’égale que celle des sentiments, le parfum est un parfait catalyseur de la passion.
Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu (…). Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières (…) » Peu de romans décrivent avec autant de lyrisme la passion entre deux êtres : ici Solal, brillant intellectuel, et Ariane, bourgeoise rangée. Pour envoûter ainsi d’une simple oeillade, celle-ci s’était probablement parfumée d’un grand sillage floral. De ceux qui emportent autant qu’un élan amoureux, façon J’Adore de Dior, une rose enrobée de prune liquoreuse qui désinhibe aussitôt. Quant à la beauté insolente de Solal, elle s’incarnerait plutôt dans la vivacité des aromates, type Frenchy de Guerlain, une verveine-lavande ensoleillée. Sauf qu’audelà des amants terribles, c’est bien l’amour ausculté dans tous ses méandres qui s’impose comme premier sujet du livre. Un point commun avec la parfumerie obsédée par les philtres de la passion. Bien souvent, on y cueille des roses, comme dans Wicked Love de Margiela, lequel accommode la reine des fleurs d’une note métallique de sang et de patchouli… Cependant, n’oublions pas que Belle du Seigneur fut publié en 1968, en pleine révolution sexuelle. Alors, bien sûr, ses pages sentent l’amour, mais aussi un soupçon de soufre et de sueur, comme le sillage de Musc Ravageur édité par Frédéric Malle, des agrumes fusants qui s’évaporent sur un lit d’ambre et d’épices. A moins que Solal n’eusse préféré le cinglant d’une friction de Cologne ? On lui aurait alors conseillé Cassis Frénésie de Roger & Gallet, où la baie acidulée s’amplifie d’eucalyptus et de piment. ■