LES ÉVÉNEMENTS DE 67
Normalement, cet article aurait dû être imprimé sur papier sépia. Il parle d’un temps enfui. En 1967, Claude Guilleminot et Rosine Vidart publiaient Paris snob. Ce gros volume relié brun répertoriait tout un tas d’adresses sans lesquelles la vie était intenable. On se croit dans un roman de Sagan. Les journées passaient à toute allure. Comment s’y retrouver entre ces rendez-vous au Décamér on, où l’ on croise Paul Gui mardetJacqu es Laurent, et ces séances d’essayage chez Johnson et Marié qui était le tailleur de De Gaulle ? Les auteurs fournissent une liste des restaurants où emmener une femme (Bistroquet, Espadon, Tokay), de ceux qui ont des salons ou qui offrent des spécialités exotiques. Le livre fourmille de détails importants. Le cinéma Mac Mahon comporte 237 places. Le Napoléon ne projette que des films d’action. Le Passy est le « fief de la domesticité espagnole » (formule qui nous ramène à une époque mérovingienne). Les commentaires sont piquants et désuets à la fois. Le Crazy Horse a un défaut : « on y est un peu serré ». Le Sélect est fréquenté par des « Finlandaises de profession indécise ». Les oreilles chastes sont prévenues que le chansonnier René Cousinier est « plus que gaulois ». Pour réussir à pénétrer chez Castel, un conseil : « Ayez l’air sympathique et dans le vent ! » Pierre en prend pour son grade : « Quel dommage que ce restaurant n’ait aucun charme ! il est moderne ». Les taxis se méfient de Chez Paul place Dauphine (« Il a deux sorties »). Le soir, au Cherry Lane, on croise de « petits jeunes gens chics, pas toujours très virils ».
Chez Vuitton, il y avait un rayon Jouets (« surtout en peluche ») et il était permis de louer une Rolls chez Murdoch Associés (200 francs la matinée). Pour une soupe d’alligator, se rendre chez Hédiard. Au détour d’une page, une phrase saute au visage : « Les endroits les plus snobs sont ceux qui le sont le moins ». C’est à y perdre son latin.
Ayez l’air sympathique et dans le vent !