Le Figaro Magazine

quartiers libres

Une exposition réunit les meilleures photos de l’écrivain américain prises dans les mers du Sud entre 1907 et 1909. Fascinant.

- JACK LONDON, L’APPEL DU PACIFIQUE • NICOLAS UNGEMUTH

Voyageur notoire, Jack London était également un navigateur acharné. L’homme du Klondike ou des bas-fonds de Londres avait également un voilier adoré, le Snark, sur lequel il aimait s’embarquer pour des périples d’exception. En avril 1907, auréolé du succès délirant de L’Appel de la forêt, sorti quatre ans plus tôt, le journalist­e-romancier prend la mer. Il l’avait déjà prise maintes fois, que ce soit pour chasser le phoque dans le Pacifique ou pour aller couvrir, en tant que journalist­e, la guerre entre la Russie et le Japon. Mais cette fois-ci, c’est sur son voilier qu’il s’éloigne à l’autre bout du monde, encore dans le Pacifique, afin d’y faire un peu d’ethnologie… Partant de son cher San Francisco, il file vers Hawaï, va aux Marquises, rejoint les îles de la Société, puis les Samoa et les Fidji et enfin, gagne ces contrées très sauvages où il arrivait encore qu’on déguste du rôti de chair humaine : les Nouvelles-Hébrides (désormais nommées Vanuatu) et les mystérieus­es îles Salomon. Au cours de ce voyage insensé sur son frêle voilier, London prend des photograph­ies témoignant de mondes inconnus à l’époque et quasiment disparus aujourd’hui. Ce sont ces clichés, très précieux, qui sont exposés à Marseille, à La Vieille Charité. London n’était pas un photograph­e surdoué, et ses clichés n’ont pas la magnificen­ce de ceux, au hasard, de l’expédition de l’Endurance d’Ernst Shackleton. Mais ses images sont les reliques d’une aventure extraordin­aire, au milieu des lépreux de Molokai ou de tribus qui allaient s’éteindre, comme les Täipis (chez qui s’était brièvement installé cet autre grand écrivain américain qu’est Herman Melville). Initialeme­nt, London avait prévu de naviguer durant sept ans ! Sur son bateau de 17 mètres, il comptait, après le Pacifique, baguenaude­r en mer Rouge, puis dans la Méditerran­ée avant de remonter les fleuves européens pour se détendre dans des villes comme Londres ou Paris. Le périple – financé par de longs reportages qu’il a prévu d’envoyer au fil de ses étapes à différente­s rédactions – s’annonce difficile, pour ne pas dire franchemen­t périlleux, et nombre de ses amis le lui déconseill­ent. L’aventurier génial ne s’en laisse pas conter : « Nous allons affronter les mers, les vents et les vagues du monde entier. Le milieu sera féroce, l’adaptation difficile ; mais c’est le but atteint qui comblera de joie la petite vanité vacillante qui est moi-même. »

Il part donc en avril 1907 et reviendra en janvier 1909. Chaque matin, en mer ou sur la terre ferme des îles sauvages, au pied des volcans ou dans les jungles fétides, il s’astreint à écrire « mille mots ». L’après-midi, il relit Melville, Stevenson et Conrad : Jack a bon goût. Avec lui, il a sa seconde femme, Charmian, et quelques coéquipier­s. Et puis, il y a le Kodak à soufflet No3A, dont les pellicules pouvaient faire dix vues au format carte postale (8,25 x 14 cm), que London avait déjà manipulé lorsqu’il couvrait la guerre en Corée et le grand tremblemen­t de terre de San Francisco en 1906. C’est grâce à ce boîtier pliable conçu pour pouvoir être utilisé sans trépied – une rareté à l’époque – que l’écrivain a pu fixer ce qui l’avait fasciné.

Plusieurs de ces clichés n’ont pas survécu aux conditions tropicales mais il n’y a pas vraiment de raison de se plaindre : il en reste plus de quatre mille, ainsi que les dizaines d’objets, statuettes, etc., rapportés par l’écrivain, et qui rendraient fou Jacques Chirac en personne. L’exposition à La Vieille Charité laisse rêveur… Tout se passe au bout du monde avant la Première Guerre mondiale, et ce n’est pas exactement « Rendez-vous en terre inconnue ». Pas de liaison satellite, d’hélicoptèr­es, ni d’équipe médicale ou de médicament­s efficaces : l’équipage et London, décimés par diverses maladies tropicales, entre ulcères cutanés, malaria, fistules et autres symptômes non répertorié­s (London a les mains qui gonflent comme des gants de boxe et sa peau s’en va par tranches tel un oignon) rentreront cinq ans avant la date prévue. Grâce à un petit appareil à soufflet, tout cela n’a jamais disparu.

 ??  ?? « Jack London dans les mers du Sud », Marseille, La Vieille Charité, jusqu’au 7 janvier 2018 (Vieille-charitemar­seille.com). Catalogue disponible aux Editions de La Martinière, 192 p., 25 €.
« Jack London dans les mers du Sud », Marseille, La Vieille Charité, jusqu’au 7 janvier 2018 (Vieille-charitemar­seille.com). Catalogue disponible aux Editions de La Martinière, 192 p., 25 €.

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