Le Figaro Magazine

Vu de l’étranger : Noël chez les Coptes d’Egypte

- AU CAIRE, GUYONNE DE MONTJOU

En Egypte, on s’ennuie », lâche Tony, portable à la main, entre deux chips. Installé à la terrasse de la cafétéria de l’église copte, ce chrétien de 16 ans se lamente : « Il n’y a rien à faire ici. On n’a aucune perspectiv­e. J’ai des cousins en Suisse, en Australie, en Belgique, j’espère m’y installer comme eux un jour. » Dans cette enclave d’Héliopolis, un quartier résidentie­l du Caire, l’église Saint-Marc est cernée par les portiques de sécurité que surveillen­t des policiers alanguis. On y croise des groupes de jeunes sans déceler le moindre signe de la fête qui s’annonce, au soir du 6 janvier. Sapins et guirlandes sont absents, la crèche est invisible. Pour les Coptes, la naissance de Jésus ne donne pas lieu à une fête aussi éclatante que celle de Pâques. Certains fidèles observent néanmoins un jeûne végétalien de quarante jours pour s’y préparer, avec discrétion. Dans les boutiques alentour, en revanche, pères Noël kitsch et sapins en plastique clignotent dans les vitrines auprès de saints luminescen­ts. L’hiver est doux et les paroisses d’Egypte ne désempliss­ent pas. Au-delà des matchs de foot, des enseigneme­nts bibliques, des ateliers théâtre ou poterie, des jardins d’enfants qui sont proposés, les Coptes aiment à se retrouver dans l’église, en prière, avec une ferveur perceptibl­e. Parfois déchaussés sur la moquette, les fidèles écoutent un clergé qui garde une autorité certaine. « Les prêtres et évêques sont sollicités pour un tas d’affaires politiques, sociales, communauta­ires : ils sont de véritables guides de vie », nous explique-t-on. Cette emprise fait parfois grincer la nouvelle génération, enhardie par la révolution de 2011. La jeunesse des grandes villes, connectée et informée, rechigne à accepter une telle autorité, tout comme le retour en arrière que représente, pour

Autour des églises, portiques de sécurité et policiers alanguis...

elle, le règne du maréchal al-Sissi. Dans un café situé au 12e étage d’un immeuble proche de la place Tahrir, un couple islamo-copte fête ses cinq ans de relation clandestin­e. « Nos parents ne l’accepteron­t jamais. Ils ne sont pas prêts à s’affranchir de leur communauté, explique Monica, employée de banque de 23 ans. Selon eux, les Coptes ne doivent pas se marier avec les musulmans. » Impatiente de trouver une opportunit­é d’exil, Monica se plie pourtant au respect des traditions : à Noël, elle a prévu de rentrer dans sa famille, à Alexandrie. « Nous irons à la messe à 22 heures puis fêterons Jésus autour d’un bon repas. Le lendemain, je rentrerai au Caire pour retrouver mon illusion de liberté », conclut-elle avec un fatalisme amer.

En dépit des attentats qui la visent depuis 2010, la communauté copte – qui représente 10 % des 93 millions d’Egyptiens – ne se disperse pas, au contraire. « Les églises sont encore plus remplies qu’avant, annonce fièrement Suzanne. Deux jours après la fusillade de Mynia en mai dernier (qui a fait 29 morts et 24 blessés parmi les pèlerins vers le sanctuaire de Saint-Samuel, ndlr), je m’y suis rendue à mon tour. Ce ne sont pas les terroriste­s qui vont décider de notre vie, ajoute-t-elle, bravache. Nous n’avons pas peur de mourir. » Ce courage sans témérité doit sans doute beaucoup au culte des martyrs, présent à chaque liturgie : « Les Coptes révèrent deux figures : les moines et les martyrs, explique Adrien Candiard, prêtre dominicain installé au Caire depuis cinq ans. Au-delà du fait que leur attitude face au risque s’explique par la jeunesse de la société (deux tiers des Egyptiens ont moins de 30 ans), les chrétiens ne se laissent pas submerger par la terreur qu’on veut leur imposer. Estimant leur foi en Dieu plus précieuse que la vie même, ils préfèrent mourir qu’y renoncer », ajoute le chercheur. Dehors, dans une rue adjacente de l’église Sainte-Marie de Shoubra, un quartier populaire, la profession de foi musulmane – «… et Mahomet est son prophète » – a été hissée à côté d’une effigie de la Vierge, figure également révérée dans l’islam et point de jonction entre les deux monothéism­es, qui cohabitent ici depuis près de quatorze siècles.

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La ferveur est perceptibl­e dans les églises d’Egypte : les attentats terroriste­s qui visent particuliè­rement les chrétiens depuis 2010 ont provoqué un regain de foi et de solidarité parmi les 9millions de coptes rattachés au patriarche d’Alexandrie.

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