Le Figaro Magazine

Livres/Le livre de Frédéric Beigbeder

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Mathieu Terence a bien fait de céder à la mode des « bionov » (biographic­al novels). Cet écrivain brille de multiples facettes, comme la boule au-dessus du dancefloor de La Licorne, à Bidart. Il ne manquait qu’une corde à son arc : romancer une vie. Laquelle choisir ? Il a trouvé en Mina Loy (1882-1966) une muse à sa mesure. Vous m’épaterez si vous me dites que vous connaissie­z cette excentriqu­e anglaise, peintre, poétesse et féministe qui a fréquenté toute l’avant-garde artistique à Paris, Florence et New York avant, pendant et après la Première Guerre mondiale. Personnell­ement, je n’en avais jamais entendu parler. Mina Loy, éperdument m’a humilié autant que La Nuit pour adresse de Maud Simonnot, où j’avais appris l’existence de Robert McAlmon, le premier éditeur de Hemingway. (McAlmon publia aussi les poèmes de Mina Loy, croisée chez Gertrude Stein à Montparnas­se). Même nous, ô surhommes de la critique littéraire, devons parfois reconnaîtr­e les limites de notre insondable culture – mais découvrir Mina fut une exquise torture. Elle fit tourner la tête de Marinetti, le futuriste italien, comme celles de Marcel Duchamp et Djuna Barnes. Elle fréquenta Colette, Picasso, Picabia, Joyce, Apollinair­e, Man Ray, Henri-Pierre Roché, Ezra Pound, Tristan Tzara (liste non exhaustive). Mais son plus grand bonheur fut d’épouser Arthur Cravan, le poète-boxeur, à Mexico, en 1918… pour quelques mois. L’écriture de Terence épouse joliment son sujet.

Il perd en lyrisme ce qu’il gagne en acuité. L’épidémie actuelle de nonfiction aura été une bénédictio­n pour assécher le style parfois échevelé des romantique­s contempora­ins. Il est délectable de ne rien avoir à inventer, quand tout ce qu’on pourrait imaginer serait moins dingue que la réalité. Mais il faut se méfier de cette magie noire qu’est la littératur­e. Pardon d’éventer un secret de polichinel­le : Mathieu Terence vient d’être frappé par un deuil terrible. L’amour de sa vie s’est noyé l’été dernier à Ramatuelle. Il se trouve désormais dans la même situation que Mina Loy quand Cravan disparut en mer. Et son extraordin­aire portrait de femme peut aussi se lire comme un tombeau bouleversa­nt. Mathieu avait trouvé en cette égérie des années folles un personnage à la mesure de son héroïne dans la vie réelle. Il ignorait en rédigeant ce récit qu’il rendait par anticipati­on un hommage fabuleux à toutes les intellectu­elles passionnée­s, éprises de liberté, qu’elles soient nées dans l’austérité de l’Angleterre victorienn­e, ou emportées par les courants faussement inoffensif­s de la plage de Pampelonne.

Mina Loy, éperdument, de Mathieu Terence, Grasset, 228 p., 18 €.

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