Le Figaro Magazine

SÉNÉGAL : LA NOUVELLE VAGUE

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Le photograph­e Omar Victor Diop à la Fondation Louis Vuitton, le peintre Soly Cissé au musée Dapper… La pléthore d’exposition­s consacrées à l’art africain à Paris, au printemps dernier, a pu donner une idée de ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerran­ée, et plus loin encore, de l’autre côté du Sahara, au Sénégal. Avouons-le, on avait un peu oublié le pays de Léopold Sédar Senghor, premierAfr­icainàsiég­eràl’Académiefr­ançaise,etd’Ousmane Sow, le « Rodin de Dakar », disparu en décembre dernier. Grave erreur ! « Depuis cinq ans, ça bouge, une nouvelle génération d’artistes émerge. Il y a une soif de créativité », observe Mao Sidibé, chanteur d’afropop revenu s’installer au pays après une longue parenthèse en France. Cap donc sur Dakar, la bouillonna­nte capitale sénégalais­e. Bâtie sur la presqu’île du Cap-Vert, à la pointe la plus occidental­e de l’Afrique, la ville exhibe quelques bâtiments coloniaux, tels la gare ferroviair­e ou le marché Kermel. L’architectu­re est banale et fatiguée. Les rues, elles, sont pleines de vie. On vend des grigris au marché Tilène, des tissus de Guinée et des fruits de Casamance au marché Sandaga. Des vendeurs de noix de cajou slaloment entre les voitures rapiécées avec les moyens du bord. Les cars rapides, sortes de minibus peints et cabossés comme de vieilles boîtes de conserve, éclabousse­nt de couleurs le décor anarchique de la métropole.

Dakar n’est pas belle, c’est entendu, mais

« c’est une ville facile d’accès, chaleureus­e, joyeuse, cosmopolit­e. Désordonné­e et anarchique, mais sans agressivit­é », selon Ousmane Mbaye. Ce designer s’est fait connaître pour son mobilier de métal, fabriqué dans son atelier face au marché aux poissons de Soumbédiou­ne. Ses armoires, chaises et tables basses sont conçues à partir de fûts d’essence aux couleurs vives. Lorsque ses artisans manquent de place pour souder, ils font comme tout le monde à Dakar : ils se mettent sur le trottoir.

« Le savoir-faire est incroyable ici. On trouve tous les métiers imaginable­s. Hélas, il manque des structures de formation et des espaces culturels », dit Ousmane, qui rêve d’ouvrir une école de design. Après avoir vendu à travers le monde, l’homme se concentre désormais sur le marché africain. Abidjan et Lagos valent bien Paris ou New York. Ousmane Mbaye incarne cette Afrique moderne, conquérant­e, décomplexé­e et apaisée. Le soir en fin de journée, il aime s’asseoir dehors pour assister au retour des pêcheurs de Soumbédiou­ne. Imitons-le. Tandis que les groupes d’hommes rangent leurs longues pirogues colorées sur la plage, les femmes en boubous vendent les thiofs (mérous), daurades et capitaines fraîchemen­t pêchés. C’est l’heure où les Dakarois transforme­nt la promenade de la Corniche ouest en salle de sport de plein air. On court sur le bitume, on s’exerce à la lutte sur la plage, on soulève des poids et on multiplie les tractions sur les appareils de musculatio­n fournis par des fonds chinois. Tout cela au soleil couchant. Est-ce parce que leur ville est énergivore que les Dakarois entretienn­ent leur forme physique jusqu’à pas d’heure ? Les corps puissants de ces athlètes de rue évoquent les lutteurs noubas qu’Ousmane Sow exposa sur le pont des Arts à Paris en 1999. Dans un genre plus pompier, le Monument de la Renaissanc­e africaine, qui trône depuis 2010 au-dessus du quartier des Mamelles, rend aussi hommage à l’homme africain dans toute sa virilité. Un apollon musculeux de 52 mètres de haut, flanqué d’une femme et d’un bébé, toise l’horizon en direction de l’Amérique. La sculpture symbolique, voulue par l’ancien président Abdoulaye Wade, fit grincer les dents pour son coût jugé prohibitif. Ousmane Mbaye hausse les épaules. « Dans dix ans, on trouvera ça beau. Au début, personne n’aimait la tour Eiffel… »

Dakar est une symphonie bruitiste d’Ibaaku et un tableau bariolé de Ndoye Douts. Le premier, reconnaiss­able à ses dreadlocks dressées sur la tête comme des antennes, compose une musique « afro-hypnotique ». Ses sonorités futuristes se nourrissen­t aussi bien d’électro que des rythmiques diolas de Casamance. On y entend le muezzin de la →

LES TROTTOIRS DE DAKAR, UNE GALERIE D’ART À CIEL OUVERT

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