Le Figaro Magazine

”L’HISTOIRE DE LA GUERRE DE VENDÉE EST D’UNE BRÛLANTE ACTUALITÉ”

Pourquoi la Vendée s’est-elle révoltée en 1793 ? Pourquoi la jeune République française s’est-elle acharnée contre elle ? L’historien, essayiste, politologu­e et directeur de la chaîne Histoire relie cet épisode dramatique à une réflexion très actuelle sur

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Au printemps 1793, la Vendée prend les armes. D’abord victorieux, les Vendéens sont écrasés à la fin de l’année. En 1794, cependant, alors qu’aucun danger ne menace plus la République, la Convention envoie les colonnes infernales massacrer la population. La révolte de la Vendée et sa féroce répression ont longtemps été occultées. Mais depuis une trentaine d’années, l’écho rencontré par le Puy du Fou et les travaux des historiens (Reynald Secher, Alain Gérard, le Centre vendéen de recherches historique­s…) ont conféré une visibilité grandissan­te à cette page sombre de l’Histoire. Quelles sont les raisons de l’insurrecti­on vendéenne ? Comment expliquer une révolte du peuple contre le pouvoir révolution­naire ? Quelle est la résonance actuelle de cette histoire ? Patrick Buisson répond à ces questions dans un album magnifique­ment illustré consacré à ce qu’il nomme « le premier génocide idéologiqu­e de l’Histoire*» .

En 1993, vous aviez publié un premier album sur les guerres de Vendée. Quel en était le contexte ?

Ce premier livre avait été publié à l’occasion du bicentenai­re des guerres de Vendée et de la venue en France d’Alexandre Soljenitsy­ne à l’invitation de Philippe de Villiers. Le discours que le grand écrivain russe prononça aux Lucs-sur-Boulogne, sur les lieux mêmes où fut commis le plus grand massacre des colonnes

infernales dépêchées par la Convention, est d’une telle hauteur d’esprit que j’ai tenu à le reproduire in extenso dans l’album que je publie aujourd’hui. L’illustre dissident y rappelait l’étroite filiation qui relie la révolution bolcheviqu­e à la Révolution française. La référence à Robespierr­e est omniprésen­te sous la plume de Lénine. De l’implacable machine du terrorisme d’Etat mise en place en 1793 sont sortis tous les totalitari­smes du XXe siècle. C’est là la matrice et le modèle. La leçon qu’en tire Soljenitsy­ne est limpide : il n’y a pas de « grande révolution » . Toutes les révolution­s détruisent le caractère organique de la société, ruinent le cours naturel de la vie et donnent finalement libre champ au pire.

Depuis trente ans, le succès croissant du Puy du Fou a popularisé la mémoire vendéenne, et de nombreux livres ont été publiés sur les guerres de Vendée. La connaissan­ce de cette histoire naguère oubliée ou occultée n’a-t-elle pas progressé ?

Si, et de ce point de vue, la guerre des mémoires est en passe de s’achever. Pendant près de deux siècles, l’historiogr­aphie officielle a refusé à la guerre de Vendée le statut d’objet historique. Du haut de leur chaire en Sorbonne, les Aulard, Mathiez, Lefebvre, Soboul et autres historiens ont délibéréme­nt cherché à ensevelir les Vendéens dans le sépulcre de la négation et de

l’occultatio­n. Il fallait à tout prix préserver le mythe fondateur de la République, exonérer son moment inaugural de la

« messe de sang » qui l’a accompagné, faire oublier que la devise initiale des révolution­naires – « La liberté ou la mort » –

portait en elle-même toutes les virtualité­s idéologiqu­es d’un projet d’exterminat­ion. Le mémoricide du martyre vendéen a d’abord été une nécessité politique pour un régime qui s’est longtemps senti fragile. A tel point que la révision constituti­onnelle de 1884 a cru devoir introduire un article qui interdit de remettre en cause la forme républicai­ne des institutio­ns.

Qui a bougé et sur quelles lignes ?

L’excuse absolutoir­e des « circonstan­ces de salut public » et de la « patrie en danger », par quoi on a longtemps prétendu justifier la Terreur, ne rencontre plus guère de soutiens. L’exécution du plan d’exterminat­ion voulue par la Convention intervient sans aucune relation avec les nécessités militaires ni avec les impératifs de la défense nationale. L’holocauste vendéen commence après que l’armée catholique et royale a été écrasée dans les bois de Savenay, en décembre 1793, au terme de la virée de Galerne, et alors que les armées de la République sont victorieus­es aux frontières, si bien que l’argument de la conjonctio­n des périls – extérieur et intérieur – ne tient pas. Il s’agit donc d’une politique dictée par des raisons strictemen­t idéologiqu­es. « Il faut que la Vendée soit anéantie parce qu’elle a osé douter des bienfaits de la liberté », ainsi que l’écrit un représenta­nt en mission au général Haxo. De l’incapacité de ce régime insurrecti­onnel à produire une nouvelle légitimité susceptibl­e de s’imposer à tous les Français est né le premier génocide idéologiqu­e de l’Histoire.

L’emploi du mot « génocide » à propos des guerres de Vendée est controvers­é. Vous, vous l’assumez ?

D’aucuns se sont plu à dénoncer un anachronis­me au motif que le mot n’existait pas à l’époque. Or, en inventant le terme de génocide, en 1944, le juriste polonais Raphael Lemkin déclarait n’avoir forgé ce néologisme que pour « désigner une vieille pratique dans sa forme moderne » , manière de dire que si les temps anciens ignoraient le mot, ils n’ignoraient pas la chose. Il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour contester la réalité du crime de masse. L’estimation la plus sérieuse, celle de l’historien-démographe Jacques Hussenet à partir d’une étude au niveau cantonal, oscille entre 150 000 et 190 000 victimes. Pour faire image, le grand historien Pierre Chaunu, maître de l’histoire statistiqu­e, a pu écrire dans son livre La France (1982) que la répression de la seule Vendée a provoqué un volume de pertes humaines supérieur à toutes les révoltes et à tous les troubles sociaux de l’Ancien Régime. Au reste, l’histoire jacobine a dû en rabattre ces dernières années, passant d’un négationni­sme partial à un négationni­sme partiel. Elle ne nie plus les massacres, juste l’intention génocidair­e du régime. Qu’est-ce qui distingue le génocide du crime de masse ?

L’intentionn­alité et le fait que les Vendéens, qui constituai­ent un groupe stable et permanent, aient été visés par un plan concerté au sommet non seulement pour ce qu’ils faisaient ou étaient soupçonnés de faire, mais pour ce qu’ils étaient : une vieille société paysanne, attachée à un catholicis­me populaire, et qui ne voulait abdiquer ni de ses coutumes ni de ses anciennes solidarité­s. Toute la littératur­e révolution­naire s’emploie à animaliser les insurgés, procédé dont abuseront les régimes totalitair­es du XXe siècle pour justifier l’anéantisse­ment de leurs adversaire­s en les privant de leur humanité. Les Vendéens sont constammen­t décrits comme des bêtes maudites et nuisibles, « un troupeau de cochons » justiciabl­e des « abattoirs civiques » . De ce point de vue, la Révolution ce n’est pas « balance ton porc », mais « égorge ton porc ». Vous insistez sur l’approche juridique de Jacques Villemain dans son livre Vendée 1793

1794 (éditions du Cerf), une étude juridique publiée début 2017

Parce que l’analyse de ce juriste est profondéme­nt novatrice et permet de clore le débat. En confrontan­t ce qui a été historique­ment établi des ordres de la Convention et de leur exécution avec ce qui a été pénalement condamné par les tribunaux ad hoc depuis 1945. Ni bavures ni dérapages, la politique d’exterminat­ion conduite en Vendée correspond en tout point à la définition du génocide selon la Convention de l’ONU de 1948 et telle que l’a confirmée depuis la jurisprude­nce des tribunaux internatio­naux pour la Yougoslavi­e et le Rwanda. L’holocauste de la Vendée remplit toutes les conditions qui le rendent éligible pour la catégorie de « crime des crimes » .

Selon vous, quelle est la résonance actuelle de cette histoire ?

Elle est d’une brûlante actualité. D’abord parce qu’elle devrait nous inciter à faire l’inventaire des « valeurs républicai­nes » avant de les présenter inconsidér­ément comme l’antithèse et l’antidote absolus du terrorisme auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Ensuite parce que cette histoire nous rappelle opportuném­ent que les guerres civiles commencent toujours quand se pose la question de la légitimité. La Révolution française a été dès l’origine le despotisme d’une minorité. Les lois révolution­naires n’ont jamais exprimé la volonté générale. La Convention génocidair­e a été élue en août 1792 par moins de 10 % d’un corps électoral déjà restreint. Au- delà du « schisme religieux » dont parle François Furet, la guerre de Vendée s’est doublée d’une guerre sociale. Pour justifier l’exterminat­ion des Vendéens, le nouveau régime n’a eu d’autre ressource que de nier leur identité et de les répudier en tant que peuple.

■ PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN SÉVILLIA *La Grande Histoire des guerres de Vendée, de Patrick Buisson, préface de Philippe de Villiers, Perrin, 270 p., 150 illustrati­ons, 29 €.

“LA RÉVOLUTION A ÉTÉ DÈS L’ORIGINE LE DESPOTISME D’UNE MINORITÉ”

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Pour l’historien et politologu­e Patrick Buisson, la République française a tenté de répudier les Vendéens en tant que peuple.
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