T’ES SÛR QU’ON EST EN 2017 ?
Voutch est un dessinateur studieux qui ne s’endort pas sur ses lauriers comme certains tire-au-flanc que je ne nommerai pas. Il se renouvelle. Il cherche à surprendre. Voutch a donc publié un nouveau livre où – tenez-vous bien – au lieu de nous faire rire avec un seul dessin légendé par page, il s’est mis à raconter des histoires avec un dialogue qui se poursuit sur plusieurs images d’affilée. Une telle invention est unique dans l’histoire du dessin humoristique. Certaines mauvaises langues diront que ce principe existait déjà depuis la grotte de Lascaux sous le nom de « bande dessinée ». Que ces grincheux meurent étouffés dans leur propre bile ! Voutch est plus original puisque ses dialogues se poursuivent sur plusieurs dessins identiques. Exemple : deux hiboux discutent sur une branche, deux galets conversent sur une plage, deux bouses de vache s’engueulent dans un pré, deux rouleaux de papier hygiénique s’invectivent sur un siège de WC. Dans une BD normale, chaque case représente une action différente. Voutch a créé la BD immobile, dont chaque case est identique. Il arrête le temps. Il suspend la vie. Certains aigris prétendront que c’est moins de boulot de dessiner toujours la même case (parfois sans dialogue). Que ces jaloux se noient dans leur propre fiel répugnant ! Ils ne comprennent pas ce que c’est que l’art : savoir peindre le silence. Comprendre la solitude d’un champignon, entendre la revendication d’un topinambour. Telle est la mission du grand génie : voir l’invisible. Voutch est le Bergman des brosses à dents et des poignées de placard.
Tous les personnages de T’es sûr qu’on est mardi ? sont des personnages dont on n’a jamais entendu parler auparavant. Voutch donne enfin une réponse à la célèbre question de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » Bien sûr qu’ils ont une âme, nous dit-il. Et des angoisses métaphysiques, des sentiments impétueux, des rêves mégalomanes. La chaussure du pied gauche envie celle du pied droit, un tire-bouchon culpabilise de faire mal au bouchon, un menhir se sent snobé par les autres menhirs, un cactus frime parce qu’il a joué dans des westerns. L’être humain n’a pas le monopole du coeur. Nous savons depuis Bergson qu’il est impossible d’expliquer pourquoi une blague est comique. Vous comprendrez seulement si vous lisez ce livre que Jean de La Fontaine aurait adoré. Le monde actuel a besoin d’ouvrages aussi métaphysiques, même si certains rabat-joie éructeront qu’ils ne voient pas le rapport avec le titre T’es sûr qu’on est mardi ?. Que ces abrutis pourrissent par la racine de leur gangrène antipathique !
T’es sûr qu’on est mardi ? de Voutch, Le Cherche Midi, 94 p., 19,80 €.