Vu de l’étranger : L’Autriche sous surveillance
Six portefeuilles, dont ceux de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, plus le poste de vice-chancelier autrichien pour lui-même : Heinz-Christian Strache, leader du Parti de la liberté (Freiheitliche Partei Österreichs, FPÖ), est un homme comblé. En portant sa formation à la troisième place aux élections législatives du 15 octobre dernier et en bâtissant dans la foulée une coalition avec le Parti populaire autrichien (ÖVP), ce Viennois de 48 ans a ramené les siens aux affaires. Lors de la prestation de serment du gouvernement le 18 décembre, alors qu’il se tenait au côté du nouveau chancelier Sebastian Kurz, sa mine réjouie trahissait une profonde satisfaction : le FPÖ retrouvait le pouvoir au niveau fédéral après une décennie de disette.
Les jours qui ont immédiatement suivi lui en ont apporté une autre. Cette fois, l’Autriche n’a pas connu, comme en 2000, la mise au pilori internationale. Même Israël, qui a fait savoir que ses représentants refuseraient de rencontrer les ministres du FPÖ, n’a pas souhaité aller plus loin dans la rétorsion. En 2000, l’Etat hébreu avait rappelé son ambassadeur.
La « normalisation » n’était pas courue d’avance. Certes, le FPÖ s’est installé désormais dans le paysage autrichien, notamment dans plusieurs Länder qu’il gouverne en coalition. Mais il reste un parti à part autant par son histoire que par son incapacité à faire son examen de conscience. Caractérisée comme la « troisième force » du pays, cette formation plonge ses racines dans le national-socialisme. Immédiatement après la guerre, de nombreux adhérents du parti nazi, privés du droit de vote, se regroupèrent sous la bannière de la Fédération des indépendants (VdU). Ce n’est qu’en 1955 que le FPÖ voit le jour comme successeur de la VdU. Son premier dirigeant n’est autre qu’Anton Reinthaller, ex-général de brigade SS et ancien ministre de l’Agriculture d’Hitler, emprisonné de 1950 à 1953. Lui succède Friedrich Peter, un ancien lieutenant de la Waffen-SS. Paradoxalement, ce dernier tentera de rééquilibrer le parti avec une aile authentiquement libérale pour faire contrepoids aux nostalgiques du Reich et de la Grande Allemagne. La stratégie connaîtra un succès temporaire. En 1980, les libéraux s’imposèrent et leur leader Norbert Steger devint même vice-chancelier en 1983 dans un gouvernement dirigé par le Parti socialiste (SPÖ). Une embellie qui n’empêcha pas de graves rechutes comme la poignée de main que le ministre FPÖ de la Défense donna au criminel de guerre SS Walter Reder lorsqu’il sortit des geôles italiennes et regagna l’Autriche. L’arrivée de Jörg Haider aux commandes du parti en 1986 donne un coup d’arrêt définitif au recentrage. Résolument xénophobe et à la lisière de l’antisémitisme, le leader charismatique ramène sa formation vers la ligne d’origine. Plus question de mea culpa sur le passé nazi. En revanche, Haider multiplie les déclarations élogieuses sur ceux qui ont servi dans la Wehrmacht. C’est de ce FPÖ-là que Heinz-Christian Strache a hérité en 2005, quand Haider a quitté le parti . En matière de slogans anti-immigration, il restera dans le même ton. « Vienne ne deviendra pas Istanbul », « Chez nous plutôt qu’en Islam » ne sont que deux exemples de slogans des campagnes lancées avec la complicité de son inspirateur Herbert Kickl, aujourd’hui ministre de l’Intérieur.
Le vice-chancelier autrichien se sait, lui et les ministres du Parti de la liberté, sous surveillance. L’attitude des partenaires européens, comme celle d’Israël, montre que ce gouvernement a peu de crédit international. Et la coalition du chancelier Kurz est également fragile. L’alliance scellée avec le FPÖ ne fait pas l’unanimité chez les puissants barons régionaux de son parti. Certes, ceux-ci apprécient qu’il ait gagné les élections et réinstallé le Parti populaire à la chancellerie. Mais beaucoup considèrent les trois portefeuilles régaliens offerts à Heinz-Christian Strache comme un prix trop élevé.
Héritier d’un lourd passé lié au nazisme en Autriche