En vue : Helen Mirren
Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Si la formule clôt les plus beaux contes depuis des siècles, rares sont les histoires qui dévoilent ce qui se passe après, quand les corps et les têtes déclinent mais que l’amour est consolidé par d’intenses souvenirs. L’Echappée belle, en salles mercredi, s’inscrit dans cette lignée. A l’heure de partir à l’hospice, un couple de retraités se fait la malle pour s’offrir un dernier voyage en camping-car à travers les Etats-Unis. Signée Paolo Virzì, cette comédie dramatique permet à Helen Mirren de réaliser, à 72 ans, un rêve de petite fille : « C’est le cinéma italien qui m’a donné envie d’être actrice, confie-t-elle. Et Paolo est de ceux qui ont apporté un souffle nouveau à la création de son pays car ses films abordent des sujets graves avec bienveillance et drôlerie. Alors, pour rien au monde, je n’aurais refusé ce projet. » Ainsi s’ouvre la conversation avec la reine Mirren qui nous reçoit en audience un matin de décembre dans le boudoir de l’Hôtel Regina (!), à quelques enjambées du palais du Louvre. Résidente parisienne depuis novembre pour le tournage du nouveau film de Luc Besson, Anna, l’actrice anglaise s’est présentée à nous avec l’enthousiasme et la simplicité de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Après avoir décroché un Oscar, deux Golden Globes et deux prix d’interprétation à Cannes, elle vient d’être nommée à nouveau aux Golden Globes pour cette Echappée belle. Dans ce film, Helen Mirren campe avec force et fragilité une femme aux petits soins pour un mari rongé par la maladie d’Alzheimer. L’occasion de former avec Donald Sutherland un couple aimant, solidaire et complice. « J’avais déjà incarné sa femme, il y a vingt-cinq ans, dans Docteur Norman Bethune mais notre connivence tient de l’histoire de ce vieux couple en cavale. Donald est un acteur “formidable” au sens français du terme : il impressionne jusqu’à en être parfois un peu effrayant. » Mariée depuis vingt ans au réalisateur américain Taylor Hackford, la comédienne a pu puiser dans son expérience personnelle pour jouer l’amour au long cours. « Comme le montre ce film, je pense que la longévité d’un couple repose sur la liberté et la confiance que l’on se donne. Mais je ne crois pas au dicton “loin des yeux, loin du coeur” car la séparation physique est parfois essentielle pour raviver la flamme. »
En cinquante ans de carrière et 92 films qui l’ont menée dans le monde entier, Helen Mirren a pu le vérifier. Ses voyages lui ont permis de découvrir des paysages, des cultures et des univers bien plus exotiques que ceux de Southend-on-Sea, cette station balnéaire du comté de l’Essex où elle a grandi. Faisant de William Shakespeare son guide, elle a pu explorer l’âme humaine en enfilant les costumes de toutes ses héroïnes. « Toutes ou presque, corrige-t-elle. Il me manque Juliette – mais c’est trop tard – et Portia du
Marchand de Venise. Heureusement, il reste d’autres personnages shakespeariens contemporains. Donald Trump, par exemple, l’est dans le sens bouffonesque du terme. Remarquez, il est aussi brechtien : avec ses tweets, sa propagande et ses potins, il me fait penser à Arturo Ui. »
Si elle n’a pas encore démontré son talent dans la peau d’un homme, l’actrice a prouvé son art de jouer l’autorité avec The Queen (2006). L’occasion de revenir sur ce rôle, qui restera sans doute comme l’un des plus marquants : « En tant qu’actrice, cette femme m’intriguait : derrière le statut, je voulais incarner l’être humain, physiquement et psychologiquement. Et personnellement, je ne suis pas monarchiste mais j’ai un attachement particulier à Elisabeth II : avec ma soeur, c’est la seule personne qui a accompagné toute ma vie. »
A cet instant précis, la soeur d’Helen Mirren pointe justement le bout de son nez. Elle l’a rejointe pour passer avec elle le week-end à Paris. Francophile avertie, l’actrice se réjouit à l’idée de jouer les guides. En nous quittant, elle l’entraînera probablement de l’autre côté de la rue de Rivoli pour découvrir l’exposition Dior. Après quoi, elle l’attirera sans doute dans une librairie du Quartier latin afin de trouver une édition rare de Maupassant, son auteur favori, ou vers le boulevard de la Chapelle pour lui montrer le Centre international de recherche théâtrale où elle a étudié l’art dramatique avec Peter Brook. Et passera peut-être même un coup de fil à Jean-Luc, cet élégant Français dans les bras de qui elle est tombée à 15 ans et qui, depuis, est resté un ami. A chaque échappée belle, toutes les surprises sont permises.